Malick a beaucoup évolué: il est passé de films relativement traditionnels à la narration simple (Badlands / Days of Heaven), à des films plus lyriques et incroyablement optimistes (The New World et Tree of Life) pour réaliser à présent à des films beaucoup plus sombres et désabusés (To the Wonder et Knight of Cups). Il semblerait que son enthousiasme d'antan soit en train de s'étioler...Mais surtout, ses films sont de moins en moins des films au sens traditionnel du terme mais plutôt des prières, des mosaïques d'images et des discours philosophiques.


Knight of Cups exaspérera les détracteurs de Malick car il réunit tous les clichés du cinéaste: voix-off omniprésente, plans contemplatifs, montage elliptique qui nous plonge dans la tête de Rick, acteurs mutiques, absence de chronologie voire même de scénario. Par contre, cette fois-ci, on ne pourra pas accuser Malick d'être un fou prosélyte car l'aspect religieux du film est bien moins présent que dans ses deux précédentes oeuvres. La spiritualité occupe néanmoins une place importante dans Knight of Cups, mais elle est étendue à toutes les religions cette fois-ci.


Pour les inconditionnels, dont je fais partie, et pour ceux qui sont aussi prêts à voir de vraies propositions de cinéma, je ne peux que recommander Knight of Cups.


Malick semble avoir atteint l'ultime degré d'abstraction. Il multiplie les tableaux sans lien apparent, où l'on voit Rick déambuler dans les rues de Los Angeles ou dans des appartements vides, en compagnie d'un membre de sa famille ou d'une belle jeune femme. On ne nous explique absolument rien. D'où l'effort demandé au spectateur, qui doit chercher la symbolique de chaque image ou essayer de comprendre les voix-off souvent très mystérieuses. Mais la mélodie Malickienne est finalement toujours la même: il faut se laisser happer par le film, s'identifier au personnage et accepter de déambuler avec lui dans le film. Il est en tout cas assez incroyable qu'un cinéaste, en 2015, puisse encore faire des films aussi exigeants, poétiques et expérimentaux.


Comme toujours, inutile de vous dire que les images sont renversantes de beauté. Plages désertes de Los Angeles, buildings de verre traversés par les rayons du soleil, ciels bleutés...Même la laideur est transformée chez Malick: une boîte de strip tease, des fêtes vulgaires ou des maisons atrocement kitsch deviennent superbes, grâce à la photographie de Lubezki. A cela s'ajoute une très belle soundtrack et une musique apaisante formée par les voix-off, qui poussent forcément à l'introspection. Quel plaisir de pouvoir se poser dans une salle de cinéma pour voir 2h de pure beauté !


La virtuosité du cinéaste est toujours là: il suffit d'un regard, d'un court plan pour comprendre l'émotion d'un personnage. Aucun dialogue, tout passe par l'image. La longue scène de la soirée au bord d'une piscine est particulièrement réussie: au lieu de montrer la débauche avec une musique tonitruante comme l'aurait fait n'importe quel cinéaste, Malick filme l'absurdité et la vulgarité de cette fête dans une grande douceur. Il n'accable jamais directement les personnages ou leur univers. Il ne nous impose rien, ne nous dit pas "regardez comme ils sont cons" - pourtant certains le sont. Non, tout est laissé à l'appréciation du spectateur. Ainsi, la scène n'est qu'une déambulation mélancolique et triste du personnage, que l'on voit totalement désabusé face à ce monde qui ne le satisfait plus.


Néanmoins, je suis moins emballée par ce film que par les précédents Malick, et ce pour de multiples raisons:
- Le sujet d'abord : il est plus difficile pour moi d'être émue par un scénariste paumé en quête d'absolu que par un père de famille accablé par les regrets (Tree of Life) ou par un homme pris dans une histoire d'amour vouée à l'échec (The New World). Knight of Cups ne m'a pas une seule fois fait monter les larmes aux yeux (et pourtant j'ai la larme facile). Seules quelques scènes très brèves entre Rick et son père peuvent émouvoir, ainsi que la toute fin du film. Mais il est bien difficile de se sentir touché par les aventures amoureuses du personnage, qui occupent une grande place dans le film.
- La vision des femmes: cela m'avait déjà énormément énervée dans To the Wonder, mais là... Ce n'est pas possible, Terrence. Je t'aime follement, mon coco, mais il va falloir s'arrêter là ! Les femmes ne sont que des belles créatures, qui courent, qui dansent, qui chantent, qui prient. Elles ne sont que des corps et des figures interchangeables. Certaines n'ont même pas le droit à un plan sur leur visage. Cette vision coincide certes avec le personnage de Rick, qui est las de tout et qui ne trouve pas la femme qui pourrait le sauver. Le héros masculin semble porter toute la profondeur et le lyrisme du film, tandis que les femmes ne sont que décoratives... Etonnant de la part d'un cinéaste qui a tant célébré la femme par le passé...J'espère que dans ses oeuvres à venir, Malick nous montrera des femmes fortes, dont le destin n'est pas entièrement dicté par les hommes.
- Quelques scènes complètement what the fuck qui sont plus risibles qu'autre chose. Les dinosaures de Tree of life étaient bien plus "utiles" et symboliques que


Natalie Portman se faisant lécher le pied par Christian Bale ou un chien au ralenti cherchant une balle dans l'eau. Wait, what?
On peut toujours trouver une signification à la chose. On trouve toujours de quoi justifier un plan. Personnellement, là, je ne vois pas.


Je n'ai pas encore d'avis définitif sur ce film. La note ne veut rien dire. Je pense qu'il faut le revoir pour se faire une meilleure idée. Je ne pourrai pas le revoir avant fooooort longtemps, car mes amis les Américains, chez qui je suis en ce moment, ne le passent qu'en 2016. Un comble, c'est tout de même le pays de Malick.


Malgré les défauts soulignés ci-dessus, je ne peux nier l'originalité de l'ensemble et son incroyable beauté. Comme le précédent film de Malick, celui-ci vous laissera des images gravées dans l'esprit. On y repense beaucoup après l'avoir vu, on s'interroge, on essaie de comprendre ce qu'il a voulu dire et personnellement, c'est tout ce que je demande au cinéma. Bref, Malick fait encore battre mon coeur, alors tout va bien.


Vous l'avez compris, Knight of Cups n'atteint pas l'inégalable Tree of Life mais nous projette encore vers de très beaux cieux...

Clairette02
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le 13 sept. 2015

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Clairette02

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