Poupées russes : un sous-marin, la mer et son pays...

1998 / 2018. Vingt ans après le long-métrage, « Festen », qui l’a révélé au monde, en vertu du thème frontalement abordé et du rattachement au mouvement « Dogme 95», Thomas Vinterberg, après quelques autres films, se détourne de la sphère intime et familiale pour aborder la catastrophe qui, placée sur la grande scène de l’Histoire et des relations internationales, a assombri l’été 2000. Ce n’est plus la caméra qui tangue et chavire mais, tout entier, le fier bâtiment Kursk qui prend l’eau et fait naufrage.


Prenant appui sur l’ouvrage de Robert Moore, « A Time to die : The Kursk Disaster » (2003), et sur les conseils du capitaine britannique David Russell (ici incarné par Colin Firth, toujours parfait), qui dirigea la trop tardive mission de sauvetage enfin digne de ce nom, le réalisateur danois entreprend une reconstitution fidèle de l’événement qui compromit grandement la réputation de la marine russe : le 12 août 2000, lors d’un important exercice de la marine russe en mer de Barents, plusieurs explosions se produisent à bord du sous-marin Koursk et sont captées par la flotte de surface, provoquant le naufrage du bâtiment. Seuls vingt-trois marins, sur les cent dix-huit hommes d’équipage initialement présents, parviennent à se regrouper dans l’unique compartiment préservé, mais l’oxygène viendra à manquer et il faudra tenter de contenir une voie d’eau, tant que batteries et pompes de secours parviendront encore à fonctionner. Tout en restituant ces éléments précis, Thomas Vinterberg romance le tout, en individualisant plusieurs figures de marins, incarnées par August Diehl, Magnus Millang, Matthias Schweighöfer ou Joel Boesman, et emmenées par celle, charismatique, de leur chef joué par Matthias Schoenaerts.


Le montage alterne le suivi de cette organisation d’une survie précaire, nécessairement limitée dans le temps, et des remontées à la surface permettant au spectateur de reprendre pied, soit sur les bateaux voisins du drame et tentant laborieusement d’organiser un secours, soit sur la terre ferme, auprès des familles, éplorées et avides d’action, ou des autorités maritimes, nettement plus circonspectes et cherchant à sauver leur propre réputation plus que leurs hommes ; « de toute façon, ils ont signé et accepté leur sacrifice pour la patrie », lancera aux épouses (parmi lesquelles Léa Seydoux) et aux parents âgés, entre désarroi et révolte, un Max von Sydow prêtant courageusement sa haute silhouette au peu défendable amiral Vladimir Petrenko.


On regrette seulement le monolinguisme de cette grande production, dans laquelle tous les personnages, des Russes jusqu’aux Britanniques, s’expriment en anglais. En résulte un léger brouillage de la compréhension, au début : l’histoire est russe, les noms et prénoms sont russes, tout semble localisé en Russie, mais on parle anglais ?! Ensuite, lorsque intervient la secourable flotte anglaise, une différenciation linguistique eût opposé plus nettement la concurrence entre les deux nations...


Il n’empêche. Outre les qualités scénaristiques et le travail accompli par le directeur de la photographie Anthony Dod Mantle, ce long-métrage, fruit d’une collaboration internationale, rend un juste hommage aux vingt-trois marins morts pour le seul orgueil de leur pays. Et l’on se prend à songer à « Festen » où, dans une structure similaire, un père de famille devenu patriarche entendait conserver un bloc familial bien clos et replié sur lui-même et ses secrets, quitte à provoquer des morts. De même, Vinterberg met à nu, de façon implacable et glaçante, le sacrifice engendré par le refus de sortir du cercle, ici national et non plus familial. Nouvelle condamnation sans appel de la structure incestuelle. Démonstration radicale, et toujours nécessaire.

AnneSchneider
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le 14 nov. 2018

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Anne Schneider

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