L'auteur de ces lignes ne sera pas objectif devant The Farewell ou L'Adieu, puisque sa belle famille vit à ChangChun, la grande capitale de la région de Jilin, lieu de tournage de la quasi totalité des séquences du film de la jeune cinéaste Lulu Wang. Naturellement le décor global et la peinture de cette famille chinoise typique du nord-est de la Chine a quelque chose d'attendrissant et de touchant personnellement. On peut être étonné au passage que le titre chinois du film, bie gao su ta, qui signifie "ne lui dis pas" ne soit pas retenu à l'international tant il fait sens et souligne le propos avec une plus grande justesse.
C'est un film très personnel que cet Adieu. La cinéaste et musicienne aux deux cultures transpose peu ou prou son histoire sur grand écran , interprétée par l'artiste hip-hop Awkwafina, d'origine coréenne et ayant grandi aux Etats-Unis. Cette dernière a d'ailleurs passé deux ans à Pékin dans les années 2000 pour apprendre le mandarin, ses petites maladresses de langages participent à donner de la rondeur et de l'empathie à Billi qu'elle interprète avec force. La pauvre enchaîne les déconvenues sociales et familiales et ne comprend rien à la culture chinoise d'aujourd'hui en dépit d'y avoir passé sa petite enfance. Elle rejoint sans autorisation sa grand mère en Chine, atteinte d'un cancer en phase terminale sans qu'elle le sache, faisait mine avec sa famille au complet de célébrer le mariage de son cousin. Le film dessine par le biais de cette famille les contours d'une société chinoise en proie aux contradictions où certains se sentent chinois, d'autres davantage américains, certains sont modestes, d'autres estiment leur réussite personnelle qu'après avoir gagné leur 1er million.
Il faut dire que Changchun ("grand printemps") n'a rien de glamour. La ville est écrasée par la construction systématique de gratte-ciels sans âme, tous identiques aux autres, tente depuis le début des années 2000 à faire comme le grand cousin de l'Ouest où la vitesse prime sur tout, où les conditions de vie et de sécurité parfois déplorables donneraient des sueurs froides à n'importe quel chantier européen. La cinéaste filme la ville avec tendresse, crainte et humour, la séquence de l'arrivée de Billi à l'aéroport, c'est pratiquement du vécu. Les scènes dans l'appartement de sa grand-mère sont aussi du vécu. Le bruit infernal de la ventilation dans la chambre de son hôtel et les questions incessantes du réceptionnistes concernant la vie aux Etats-Unis et les raisons de sa visite le sont aussi. Le film parlera à quiconque ayant vécu au pays du milieu et en particulier dans ses grandes mégapoles.
Au-delà de la belle justesse de son ton, L'Adieu ne parvient malheureusement pas à tenir cette fraîcheur tout du long et à tenir le spectateur en haleine, si tant est qu'il n'a pas déjà vécu l'une des vignettes dessinées par la cinéaste. On peut se reconnaître facilement, certains moments du film trouveront une vraie résonance dans le coeur de chinois d'origine, qu'ils soient tantôt drôles ou dramatiques. Ou les deux, comme lors de la scène du recueillement sur la tombe du défunt grand-père, oscillant entre douce ironie (les pleureuses, les trois salues) et profond respect des anciens. La cinéaste n'est jamais bien loin du pathos et s'en sort souvent avec les honneurs.
Universellement touchant, profondément ancré dans la dualité de ses cultures, L'Adieu est l'une des peintures les plus sincères de la Chine d'aujourd'hui dans ce qu'elle a de plus juste, de pathétique, d'humain et de beau. Le regard est doux, plein d'empathie quand il peut-être aussi critique simplement par le prisme de la caméra captant ces murs de béton qui s'étendent jusqu'à plus soif.