L'Adieu au roi
6.6
L'Adieu au roi

Film de John Milius (1989)

6 parce que j’en attendais plus de cet Adieu au roi de Milius.

On y retrouve certains thèmes récurrents dans l’univers de Milius (au sens large, autant dans ses réalisations, productions ou écriture de scénarii). Cette question de la royauté et de la religion (que l’on peut retrouver dans Conan, Rome, Apocalyse Now – dont les paralèles avec ce film ont déjà été souvent évoqués – ), cette confrontation civilisation versus nature (Jeremiah Johnson, Geronimo), un certain nihilisme et un plaisir dans la violence et le meurtre.

Pourtant si dans Conan Milius abordait visuellement ses thèmes, donc dans la mise en scène, j’ai eu l’impression ici qu’elle était beaucoup plus discrète. Comme si le film racontait une histoire plutôt que nous la montrait. Ainsi les doutes du personnage interprété par Nigel Havers dont j’ai oublié le nom ne sont pas montrés mais directement dit en voix-off. Lorsqu’il sait qu’il devra, sans doute, trahir Nick Nolte à cause de ses supérieurs, doute qui est un point central du film, ce doute n’est jamais montré mais toujours explicité.

Le plus flagrant étant le traitement réservé aux japonais ; on ne les voit jamais vraiment de près, et toutes les exactions qu'ils commettent (ou qu'ils sont contraits de commettre), comme le cannibalisme soupçonné, ne sont jamais montré. Et c'est con mais ça aurait donné plus de profondeur au film et rendu la scène de pardon plus forte. Les japonais sont toujours montrés au travers du regard américain, on ne sait pas trop ce qui leur arrive ni vraiment s'ils mangent les corps ou si c'est une légende née d'une psychose tropicale d'américains bercés à la propagande de guerre et sont toujours les premiers à attaquer. Et ça rend le tout finalement assez manichéen et à l'encontre de l'esprit du film, donc je ne l'explique pas.

Dommage selon moi parce que Milius est assez bon chef d’orchestre pour nous montrer les états d’un personnage sans jamais les dire et pour éviter ce genre d'écueil.

Prenons pour exemple une des scènes les plus réussies du film, lorsque, vers la fin, Learoyd et sa tribu massacre des soldats japonais sans défense. Le personnage interprété par Nigel Havers dont j’ai toujours pas capté le patronyme, est d’abord très mal à l’aise à l’idée d’exécuter ces soldats. Pourtant, il finit par tirer dans le tas aussi. Mais on ne voit jamais où il tire, s’il touche ou non ces cibles et s’il participe activement à ce petit massacre, laissant le doute planer sur sa morale.

Une autre scène très belle qui se passe de dialogue est celle où le « fantôme » japonais finit par se rendre à Learoyd. Et là on retrouve une des thématiques de Milius, ce pardon quasi-religieux, traité de façon visuelle, enfin ! Malheureusement, le film n'insite pas vraiment là-dessus, pourtant, pardonner à un ennemi qui a massacré sa famille ça ne doit guère être simple... et même si la scène est très jolie, il manque un ancrage plus émotionnel à tout ça. C'est bien trop gratuit. Et si le but de la manoeuvre est juste de nous montrer que ces monstres japonais sont juste des types un peu grisonnant et banal, et bien le message est trop pauvre ; Arendt et Eichmann c'est 1963, Milgram c'est en 1960, on le sait tout ça, le film à 20 ans de retard et ne creuse pas la thématique en n'embrassant jamais le point de vue japonnais.

On a également cette civilisation destructrice qui s’introduit dans un monde plus sauvage, osons le dire pour raccommoder les wagons, plus barbare. Si le monde de l’acier qui rasait le village de Conan est remplacé par de l’aviation, le cri d’amour à la nature et à ce côté autarcique de ces civilisations autochtones est ici plus flagrant que dans Conan. Le contraste est assez saisissant entre ces peuples où naissent des enfants, ouvert à l’autre peu importe sa couleur, et cet autre monde moderne qui n’apporte que la mort et qui s’abat sur cette île venant du ciel, comme une punition divine. Et finalement ce qui va lier ces deux mondes, c’est la guerre. Comme quoi, des fois quand ça veut pas…

La musique est également signée Basil Poledouris, on a donc droit à du miel pour tympans mais, comme la mise en scène, elle est bien plus discrète que dans un Conan. Avec ces plans en décors naturels, peut-être y avait-il une visée plus naturaliste et moins spectaculaire, certes, mais je trouve personnellement dommage qu’on se tape plus de voix-off que de Poledouris.

Dommage donc que le film soit bien trop classique dans sa mise en scène, parce qu’il avait un vrai potentiel. Il avait pour lui quelques scènes d’actions plutôt inspirés (comme cette bataille dans les tranchées et toute la construction avec ce général à cheval qui apparait à l'horizon comme un spectre), Basil Poledouris, de l’aventure, des trahisons, des messages intéressants (comme ce soldat noir qui reste avec les autochtones car il est également considéré comme un sauvage dans le monde moderne), un pitch à la Lawrence d'Arabie mais sans sa grandeur, et de trop rares scènes assez jolies et poétiques. En un mot comme en cent, il manque quelque-chose pour que ce film soit vraiment grand. Un souffle épique ou une pincée de drame et un peu plus de poésie sans doute…

Ji_Hem_
6
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le 24 juin 2022

Critique lue 43 fois

Ji_Hem_

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