Le temps n'existe plus dans cet hôtel au luxe pareil à celui d'un château.
Enfermés entre des couloirs immenses débouchant sur des salons ornés de stuc, de glaces et de moulures, ceux qui vivent là semblent avoir oublié le monde entier. On ne sait d'ailleurs vraiment s'ils y vivent ou s'ils sont de passage, ni depuis quand, ni jusqu'à quand ... Leur conversations sont sans cesse entrecoupées, inachevées, dénuées d'importance, si bien qu'ils s'immobilisent de temps à autres comme s'ils comprenaient qu'il n'était plus nécessaire de parler.
Dans ces instants d'arrêt, l'image n'est pas totalement figée. Elle laisse voir des êtres qui s'empêchent de bouger mais qui ne peuvent pourtant s'interdire de respirer. A la différence d'une photo, ce figement est vécu, et, à l'inverse des cadavres, ils restent debout malgré tout.
Un homme et une femme se rencontrent alors. Mais pour lui, ce n'est pas la première fois. Le film, en plus que de ressasser perpétuellement les mêmes phrases et les mêmes décors, ressasse alors les arguments de l'homme qui construit, avec une précision invraisemblable, le souvenir d'une promesse, d'une histoire, d'une rencontre.
Le noir et blanc donne aux êtres l'aspect de statues mouvantes auxquelles on tente vainement de prêter des intentions, de la même manière que font les deux protagonistes au sujet de la statue qu'ils observent ensemble.
L'homme, en plus d'être le narrateur et la voix off pour les spectateurs, devient également un narrateur auprès de cette femme qui, bien qu'elle ait beaucoup de mal à le croire, devient le sujet des mises en scène dans lesquelles il tente de lui prouver qu'il ne se trompe pas, qu'il n'a rien oublié.
Le film mélange ainsi le réel et l'imaginaire et montre à quel point les deux peuvent s'entremêler, par force de persuasion, par épuisement, par déraison et par perte de repères. Dans un lieu ou tout se ressemble, tout peut s'oublier.
Une photo s'impose pourtant comme preuve inéluctable. On y voit la femme dans ce jardin où il prétend l'avoir connue un an plus tôt. Mais qui a pris la photo ? Quand ? Pourquoi vouloir le prouver ? Comment pouvoir le croire ?
Rien ne semble suffire à cette femme qui se tient à distance et lui impose de se taire, tant il la suit incessamment en l'inondant de ces récits inventés. Elle finit par lui dire :
"Vous êtes comme une ombre et vous attendez que je m'approche"
Cette phrase contient à elle seule les clés du désir et la justification du rejet.
Perdue, fuyante, apeurée, elle ne peut recourir à rien d'autre qu'au hasard pour enfin choisir de le croire.
Les travellings, la répétition des plans et des paroles donnent le tournis et nous plongent dans un univers où le doute semble être la défense la plus inutile ...