Attention ! Cette critique contient des spoilers. C'est un film culte, mais voici tout de même un avertissement, si vous ne voulez pas vous gâcher le plaisir.


Je sais que bien des personnes ont voulu décortiquer cette œuvre ; j'ai survolé certains travaux mais sans rien en retenir. Je voulais découvrir le film avec un minimum d'influences. Je ne prétends pas révolutionner la compréhension de L'année dernière à Marienbad, mais voici ce qui m'a marquée.


Ma première pensée est bien sûr pour l'esthétique du film, ce qui restera dans mon esprit quand le reste aura été désélectionné par ma mémoire. La symétrie, les plans sans personnages (qui ne sont pas sans me rappeler les images du blog Tumblr "cinemawithoutpeople") et le noir et blanc magnifiquement géré sont à tomber. Les costumes m'ont paru très beaux et très bien intégrés au film : ils sont discrets mais manifestement chic. Je me suis demandé si le film se passait en 1961, date de sa sortie, ou dans une époque antérieure reconstituée que je n'ai pas su reconnaître. Je ne doute pas que le flou soit volontaire. Même ce jeu d'allumettes ou de cartes pourrait appartenir à un siècle ou à un autre. Je me remémore la scène pendant laquelle tout le beau monde accoudé au bar observe le serveur ramasser les bouts du verre brisé, en silence, sans gêne et sans l'aider le moins du monde : est-ce une histoire de différence de classe sociale qui fait que cette scène me dérange ? Une histoire d'époque ?


Dans ce huis clos, les personnages semblent n'avoir rien à faire, sans s'ennuyer pour autant : c'est un situation mi enviable, mi potentiellement pénible à vivre. Ce sont des êtres hors du temps qu'on ne voit jamais ni manger ni dormir, figés comme les statues dont il est question tout au long du film. Je n'ai pas eu de mal avec le côté littéraire et récité des interactions et des voix off, ni avec l'esthétique globale du film qui me paraît cohérente. Le début est comme une atmosphère de nuages, avec des mouvements de caméra doux et une voix dont on perd l'attention quand elle disparaît puis refait surface. La lenteur généralisée est appréciée, ce qui est logique si on interprète l'attente comme étant le thème principal de l'œuvre. Les scènes à variation correspondent probablement aux critères du Nouveau Roman, mais n'étant pas experte à ce propos, je n'en dis rien de plus.


Le véritable souci du film selon moi, celui qui a influencé ma note au-delà de l'esthétique est le suivant : quel est donc le problème si la femme se souvient, mais n'a justement pas envie de se souvenir ? L'homme qui l'approche lui force clairement la main ! Chacun et chacune possède ses secrets, a des envies et prend des décisions selon les critères qu'il ou elle veut, et ici, cette femme ne veut pas. Les jeux de regards semblent au premier abord rapprocher les deux personnages, mais il est difficile d'y voir de l'amour, la femme ayant perpétuellement l'air intriguée ou contrariée par l'homme.


Dans l'attitude de l'homme, je vois une obsession qui mène au harcèlement. La femme dit à plusieurs reprises "non", mais semble se laisser faire : son "non" ne semble pas valable. Avec mes yeux de 2021, j'y vois une représentation de la culture du viol. La femme dit même : "laissez-moi, je vous en supplie", mais l'homme n'entend rien. Il use presque de gaslight quand il blablate en face d'elle, lui relatant ce qu'elle aurait prétendument fait. Il fait preuve de possessivité et il s'écoute manifestement parler, ce qui est très désagréable non seulement à regarder, mais aussi, par identification à la femme, pénible à vivre. Cet homme vit soit dans un souvenir soit dans son imagination.


La femme est souvent en position de dominée : elle est accoudée à une rembarde, plaquée contre un mur, enfermée dans sa chambre, étendue sur son lit ou par terre ; l'homme lui décrit (ordonne ?) ses gestes comme à une marionnette.


Ce n'est pas beau ni romantique.


Le maquillage de la femme la fait ressembler à un oiseau, avec son nez et ses sourcils anguleux et avec son déshabillé orné de plume. Il serait facile d'interpréter ceci comme la métaphore d'un oiseau en cage, prisonnier de sa promesse, si celle-ci existe. C'est son droit le plus pur de la briser et de changer d'avis. L'oiseau est attaché par la patte, mais traîne l'homme comme un véritable boulet.

Balancine
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le 5 août 2021

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