Richard Fleischer a plusieurs réussites à son crédit, dont Soleil vert pour citer un exemple. Dans le domaine du film noir, sa grande réussite est L’énigme du Chicago-Express. Dans le genre policier, sans atteindre les sommets, L’assassin sans visage mérite largement d’être vu. Notons au passage qu’Anthony Mann a contribué à l’écriture du scénario et que le film est une production RKO, meilleure période.


Harry Grant (William Lundigan) est un policier obnubilé par une affaire où il se sent personnellement impliqué, puisque l’assassin (6 meurtres à son actif au début du film) lui a adressé des courriers le sachant en charge de l’enquête. L’assassin agit toujours de la même façon, en étranglant ses victimes et en laissant derrière lui des indices et un courrier anonyme annonçant que sa victime a payé pour ses actions néfastes. Le courrier est signé « Le Juge ». Grant a tellement l’impression de connaître son gibier qu’il finit par décider, non pas d’en dresser un portrait-robot, mais d’en faire réaliser un mannequin. Intéressant, puisqu’il ne sait rien de son visage (quelques cheveux gris) mais connait plutôt sa stature et ses vêtements. Placé dans des situations suggestives avec une vraie mise en scène, ce mannequin fait effectivement de l’effet auprès des collègues de Grant.


Le film tourne autour d’un meurtrier en série, parfaitement anonyme. On observe le policier au travail avec son équipe. Il est confronté à une jeune et jolie journaliste, Ann Gorman (Dorothy Patrick) qui travaille pour la presse à sensation. Intéressée par l’affaire, entreprenante, Ann se montre charmante et charmeuse. Grant la repousse, cherchant à poursuivre son enquête avec un maximum de discrétion. Mais Ann sait y faire pour se retrouver au bon endroit au bon moment. Chaque fois qu’il lui demande ce qu’elle fait là, elle lui répond avec un sourire satisfait « Connections » (en vo). Son obstination finira par faire céder la réticence de Grant.


Le film présente des fausses pistes et on sent bien l’atmosphère urbaine avec un noir et blanc de qualité, sans aucun temps mort (minutage serré : 1 heure) et une conclusion dans un mémorable décor industriel. L’anonymat de l’assassin s’accommode parfaitement de l’incroyable enchevêtrement d’escaliers, coursives, tuyaux, tubes et boulons d’une usine dont on peut sérieusement se demander de quel(s) cerveau(x) labyrinthique(s) elle peut être l’oeuvre.


Fleischer montre bien la progression de l’enquête. L’assassin agit de nuit lorsqu’il pleut. Cette eau qui tombe le rend fou. Mais ses motivations restant floues, le spectateur sent que la presse à sensation est désignée comme responsable de cette vague d’assassinats. En relatant les faits divers les plus sensationnels, elle donne des idées à ceux qui la lisent. Cette presse agit sans scrupules, en dévoilant ce qu’elle ne devrait pas. C’est quand même un peu facile.


Que fait Ann dans cette histoire ? Écrire étant son plaisir, au moins de cette façon elle gagne sa vie… Est-ce un hasard si son patron devient une cible de l’assassin ? D’autre part, chez une des victimes, Grant trouve un exemplaire de la publication pour laquelle Ann travaille. La façon dont il prend cette feuille de chou à deux doigts est révélatrice. D’accord, c’est devenu une pièce à conviction qu’il faut ménager. Mais à son attitude, il ne manque plus que le nez bouché pour faire sentir ce qu’il en pense réellement : un torchon puant et répugnant.


N’empêche que tout est lié (le crime et la justice). Lors de leur ultime face à face, Grant et le Juge sont liés physiquement. Bien évidemment, ce lien est perturbant, mais c’est quand il se brise que l’intrigue se dénoue. Et lorsqu’un lien disparaît, très naturellement un autre se forme, même s’il n’est pas de la même nature.


L’utilisation du mannequin est une vraie bonne idée puisque sa mise en scène (réussie) crédibilise cette orientation de l’enquête. J’ai trouvé néanmoins que Fleischer allait un peu trop loin dans cette utilisation, comme s’il n’avait pas pu résister à l’envie de provoquer son spectateur. Le Juge est-il capable d’une telle provocation ? Quand on le voit enfin, il est permis d’en douter. L’autre faiblesse du film est donc le grand flou dans la psychologie et les motivations de ce « Juge ».

Electron
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le 24 nov. 2014

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