L'AUTRE RIO (14,5) (Émilie Beaulieu Guérette, CAN, 2018, 88min) :


Dans une lueur de fin d’après-midi, un garçon court au ralenti avec un cerf-volant dans les mains en direction d’un immeuble délabré. Tout est dit : l’insouciance et la misère. Bienvenue dans L’Autre Rio.


Réalisatrice globe-trotteuse, Émilie Beaulieu Guérette commence par des études en sciences politiques puis en anthropologie, ce qui lui donne envie de parcourir le monde. Elle signe une série de courts documentaires militants qui portent en leur cœur le thème de la justice sociale. À travers ses voyages, la jeune femme tombe littéralement sous le charme d’une ville : Rio de Janeiro. Le 2 octobre 2009, la ville de Rio vient d’être désignée par le comité olympique comme ville organisatrice des Jeux et, dès 2011, l’expropriation de favelas bat son plein. Un véritable nettoyage social se met en route pour accueillir les touristes et les athlètes étrangers dans un paysage urbain plus agréable. Émilie Beaulieu Guérette va alors tendre son micro aux laissés-pour-compte. Pour mieux retranscrire cette situation subie par des millions de Brésiliens, la cinéaste décide d’infiltrer l’IBGE, un immeuble fédéral en ruine où squattent des centaines de famille démunies sous le joug des narcotrafiquants. Après de multiples tractations et négociations, le chef des trafiquants accepte que l’artiste filme « sous sa protection » l’immeuble et ses habitants, à la seule condition de ne jamais montrer dans le documentaire des situations ou actions qui lui nuiraient. La réalisatrice opte alors pour une narration en ligne droite et pour la forme d’un docu-fiction. Tout commence le 5 août 2016, jour d’ouverture des Jeux Olympiques au stade Maracana, juste en face de l’IBGE où des dizaines d’enfants regardent, assis sur le toit, le stade briller de mille feux. Ils entendent aussi le discours prononcé lors de la cérémonie : « Dans ce monde olympique, nous sommes tous égaux ». Une provocation à leurs yeux.


La caméra se fait immersive, elle est à hauteur d’hommes, les longs plans séquences s’enchaînent, la misère se lit à l’image (conditions de vie indignes, pas d’eau courante, pas d’hygiène, des montagnes d’ordures). La mort rôde partout. Au gré de ses rencontres, l’auteure obtient des habitants, le plus souvent des habitantes, qu’ils et elles se racontent, alors que personne ne les écoute jamais. Sans s’apitoyer sur leur sort, avec une certaine forme de résilience et même un humour parfois déroutant, ces occupants précaires nous montre l’envers du décor de cette ville qui capitalise sur la médiatisation suscitée par les JO, laissant tout le reste hors-champ. Le 21 août 2016, les Jeux Olympiques prennent fin. Des feux d’artifices massifs apportent leurs derniers éclats lumineux sur les vrais héros, ceux dont le combat est quotidien et vital.

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le 24 août 2019

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