La reconnaissance sourit toujours aux grands

Troisième Guillermo Del Toro, L'Echine du diable est le premier à nous montrer ce dont le réalisateur est vraiment capable, signant là le premier grand film de sa carrière. Sorti de l'absence de budget de Cronos et du manque de contrôle sur son oeuvre de Mimic, il peut enfin s'exprimer et s'épanouir sur sa première histoire véritablement personnelle, porteuse de ses thématiques habituelles qu'il développe librement au sein de sa culture natale.


Et si Mimic avait été réajusté par le succès de Blade 2, c'est Le Labyrinthe de Pan qui fait écho à L'Echine du Diable dans la carrière de l'auteur, qui n'a eu de cesse depuis d'exceller dans ces fameuses thématiques touchant au fantastique, aux contes, à l'enfance face au danger, ici la guerre, et qui se sauvera par son imagination débordante et son innocence propice au pardon (pas sûr que le pardon s'applique à cette fin brutale), quitte à rester bloqué à vie dans ses rêves (Pan, bonjour).


Et si l'on pouvait croire que la menace viendrait des fantômes, il semblait évident, au commencement du film, que c'était une diversion pour cacher le véritable antagoniste de l'oeuvre : il ne peut y avoir d'enfant mauvais comme méchant d'un film de Del Toro, c'est physiquement impossible. Aussi vrai qu'un Tarantino ne peut se produire sans avoir gaspillé des litres de faux-sang, l'enfant selon Del Toro est sauveur (la bande d'orphelins de ce film) ou sauvé (Mako Mori dans Pacific Rim), héros ou victime. Il ne peut être le véritable méchant de l'intrigue, et sera toujours l'objet d'une dissimulation du véritable antagoniste, adulte monstrueux ou simplement en lien avec la guerre (mercenaire, soldat, prince), qui l'a perverti.


Leur portrait est d'ailleurs très souvent manichéen, stéréotypé (voir le beau-père du Labyrinthe de Pan), là où L'Echine du diable parvenait à nous dépeindre une vision très nuancée du personnage d'Edurado Noriega, certes pervers et manipulateur mais suffisamment humain (dans toute la faiblesse que cela sous-entend) pour commettre des erreurs qui le rendront justement le bad guy de l'histoire, violent et injuste, objet de la haine du spectateur et de sa surprise lorsqu'il comprendra que la figure du beau-gosse hispanique sera finalement l'interprète de la pourriture de l'histoire, si laid intérieurement qu'il serait capable de tuer des gosses pour des lingots d'or brûlés.


Une profondeur de personnalité qu'on retrouve dans quasiment tous les personnages présents à l'écran (et qui ont un rôle décent dans l'intrigue); entre la pauvre veuve en quête de tendresse et cette figure paternelle frustrée par son impuissance sexuelle (parfaitement interprété par un Federico Luppi déchirant), deux meneurs d'intrigue desquels découlent toute une ribambelle de personnalités juvéniles de moins en moins caricaturales à mesure qu'avance le film, l'on sera forcé de reconnaître un gouffre entre cette oeuvre et ses deux films précédents, imparfaits et plus proches du story-board que de l'oeuvre réussie.


Que s'est-il passé pour que Del Toro maîtrise à ce point son écriture, lui qui ne brillait auparavant que par son style visuel (encore que Cronos viendrait presque me faire dire le contraire)? Parce qu'en plus d'une écriture très convenable (bien que le scénario sera finalement trop simple, il est vrai), L'Echine du diable brille aussi et surtout par sa magnifique photographie, alternance sublime de couleurs chaudes et de moments de sueurs froides, représentation désespérée des répercussions causées par la guerre sur le paysage, les hommes, les âmes.


On se surprendra à frissonner quelques fois, à tomber complètement dans l'oeuvre, à se voir happer par elle; ne vous attendez pas, comme avant de voir Crimson Peak, à un film d'horreur. L'Echine du diable n'a de sens qu'en le prenant en tant qu'expérience visuelle dramatique teintée d'horreur et de fantastique, dont le but n'est pas le sursaut absolu mais bien l'attachement à ses personnages, à son intrigue, au passé de chacun, à cette volonté de déceler tous les éléments de l'énigme pour enfin comprendre les enjeux qui se déroulent dans cet orphelinat si particulier, miroir brisé de ce que pouvaient être ces braves gens avant la venue de la guerre.


Il n'y a pas de mauvaise personne dans L'Echine du diable, juste un ensemble ininterrompu de gestes ratés conduisant à des comportements affreux. La fin, émouvante, conclura avec virtuosité la beauté du spectacle, peut-être un poil trop simpliste dans son déroulé et son intrigue pour atteindre la note supérieure, mais au pouvoir de fascination si grand qu'il nécessitera plusieurs autres visionnages pour en saisir toute la beauté visuelle. Un grand film, qui donne de grands espoirs pour les métrages suivants de l'artiste. Et c'est en les connaissant qu'on se réjouit d'avoir vécu à l'époque de réalisateurs tels que Guillermo Del Toro ou, dans un autre registre, Nicolas Winding Refn.

FloBerne

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