[Attention, spoilers]

Contrairement à ce que ce titre français d'une laideur innommable (même si finalement assez révélateur du contenu du film, j'y reviendrai) pourrait laisser penser, Fortress est un film d'une violence psychologique réaliste et sourde. L'intelligence du film est palpable dans sa construction. Il commence de manière triviale : la prof et les deux enfants se rendent à l'école et très vite, on rentre in medias res dans la situation horrifique. Les hommes masqués kidnappent toute cette petite troupe et l'emmènent dans une sorte de caverne. Le passage est d'ailleurs franchement violent, fusils pointés sur la tête des gosses, la peur est palpable.

Je reviens un petit instant sur l'idée de faire porter des masques aux bad guys. Il y a là une nécessité purement factuelle et scénaristique, les méchants, que l'on devine être des voyous ultra-violents ne doivent pas être vus, mais un aspect plus symbolique. En fait, Fortress renoue avec la tradition du slasher dans lequel le masque du tueur fait toujours corps avec l'idée anti-psychologique du Mal, et ce depuis Halloween de Carpenter, où Michael Myers est une pure incarnation diabolique à laquelle on refuse toute autre identification. C'est là toute l'ambition d'un Douce nuit, sanglante nuit que j'avais défendu farouchement il y a quelques jours, de ne pas faire porter de masque à son personnage et de rompre aussi avec le carcan du slasher en offrant un tueur un profil psychologique et psychanalytique.

Mais revenons à nos moutons. Dans Fortress, les personnages masqués sont, comme dans le slasher originel, des figures terrifiantes et diaboliques. Leurs motivations ne sont d'ailleurs jamais clairement explicités et leur folie morbide atteint parfois des extrêmes que l'on ne supposerait pas chez de simples bandits à la petite semaine.

Fortress a l'intelligence de creuser ce manichéisme, a priori un peu crétin, jusqu'à un point de rupture où chaque apparition des bad guys est synonyme de terreur. Le film joue alors fortement sur le contraste entre les passages où la classe se retrouve débarrassé de cette bande de psychopathes, franchement ludiques et débrouillards, sortis tout droit d'un film d'aventures pour enfants, et le retour des tueurs masqués qui coïncide avec le retour de cette violence sombre, réaliste, sordide, sexuée (beaucoup de références au viol) et franchement malsaine.

Le film fonctionne et s'épuise dans ce contrepoint pendant une bonne heure. Mais l'écriture a alors l'originalité de faire disparaître les masques, tout du moins en apparence. Deux des bad guys meurent dont l'un violemment décapité, et la classe comprend alors que pour survivre, il faudra tuer. Le film rompt alors totalement avec le postulat de la première heure et ce n'est pas un hasard si les méchants qui restent alors perdent leurs masques. On ne comprend la démarche du cinéaste que vers la fin du film, où les deux tueurs restants meurent violemment, massacrés par les enfants de la classe dont les visages se muent alors en expressions inhumaines.

Les masques n'ont finalement pas disparu, ils sont "portés" par les enfants. Et la fin du film est d'une intelligence rare : d'abord parce qu'il y fait une référence explicite à l'un des masques de tueur, que l'un des enfants porte "pour faire une farce". Et lors de l'arrivée de la police, dubitative de quelque chose, la prof arbore une expression lisse, dont on devine la fausseté.

Le plan final explicite définitivement ce postulat : la sauvagerie (et avec elle, les masques, symbole du Mal) a changé de visage ...
Nwazayte
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le 28 déc. 2013

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Nwazayte

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