L'Enfance brisée
L'Enfance brisée

Téléfilm de Diane Keaton (1991)

L'enfant brisée ou la petite sauvage ?

Ce film de 1991, commercialisé sous plusieurs noms et dont le titre La petite sauvage est encore le moins débile, semble plutôt venir des années 1970. Sa réalisation est un peu cheap et la VF plutôt douteuse. Néanmoins, le casting est au rendez-vous avec Beau Bridges, Patricia Arquette et une toute jeune Reese Witherspoon qui rayonne déjà.


Les thématiques de ce film sont nombreuses : l'épilepsie, la surdité, la différence et sa perception, les violences conjugales, la monoparentalité, l'éveil à la séduction et à la sexualité, l'émancipation familiale et intellectuelle. Le scénario du film est un bon point et c'est dommage que ni la réalisation, ni la bande-son ne l'appuient pour faire ressortir sa force.


Le personnage d'Ellie, joué par Weese Witherspoon, est à l'initiative de l'histoire. Sa curiosité et sa langue bien pendue dissonent dans cet univers chrétien et patriarcal. Elle fait figure d'indépendance et ne participe pas aux compétitions qui s'animent entre filles et garçons dans une optique de séduction. Ellie est plutôt à la recherche d'engagements humains, se fiche de la valeur matérielle des choses et tient à sa liberté de penser et d'agir dans la voie qu'elle s'est choisie.


Son frère Sammy, contrairement à elle, est beaucoup plus dépendant de l'avis des autres et cherche une approbation constante. Sa passion pour la littérature et la volonté de poursuivre ses études sont, au début, les seules choses dont il se passe d'approbation et pour lesquelles il est prêt à se battre.


Ainsi, quand Ellie amène Sammy à se préoccuper d'Alice, jeune fille sourde, épileptique et séquestrée dans une grange par son beau-père, c'est un engagement différent pour chacun d'eux. Un engagement qui leur permet de faire le deuil de leur mère et de s'éloigner d'un père ivrogne depuis la mort de leur mère.


Ellie est le soutien principal et l'amie d'Alice. Elle lui fait profiter de chaque petite chose possible et développe son esprit aventureux. Sammy est plutôt un guide intellectuel jusqu'à leur éveil commun à la sexualité et une scène maladroite qui poussera Sammy à s'éloigner d'Alice pour se concentrer sur son entrée à l'université. Ellie comprend ce nouvel enjeux dans leur trio avec beaucoup de perspicacité et rejoint l'avis de son frère sur l'opportunisme qu'une manœuvre amoureuse envers Alice aurait pu représenter à ce moment-là. Par contre, elle ne rejoint pas l'avis de son frère sur la différence d'Alice et la difficulté à assumer les particularités d'Alice auprès de leurs amis. Le frère et la sœur s'éloignent un peu.


Ellie emploie alors toute son énergie à payer un appareil auditif à Alice et à lui apprendre à lire. Sa détermination et son charisme mènent à la baguette sa grand-mère, son père et le médecin du village. Les scènes où Reese Witherspoon est à l'écran sont les plus drôles et les plus subtiles. Elles font le réel charme du film. Ellie est maligne et joyeuse et l'entrée d'Alice dans sa vie révèle ses forces.


Alice, quant à elle, veut apprendre tout ce qu'il y a à apprendre et s'intégrer dans le village, principalement pour Sammy. Les réactions de Sammy vont lui causer peine et incompréhension puis vont l’amener à faire plus d'efforts tout en attendant aucun résultat.


Le beau-père d'Alice qui fiche une raclée de trop à Alice et sa mère et finit partiellement paralysé, c'est le tournant du film et le point essentiel au développement du personnage du père d'Ellie et Sammy. Alors que jusque-là, le personnage restait une mauvaise caricature du père alcoolique en deuil, il revient au premier plan de l'histoire grâce à un jeu très honnête de Beau Bridges. Alice vient vivre dans leur famille et il renoue avec la paternité comme s'il découvrait un troisième enfant caché. Il reprend sa place de père, de soutien dans l'émancipation de ses trois enfants : Ellie, Sammy et Alice.


La dernière partie du film se concentre sur la relation Alice/Sammy. Ellie joue en quelque sorte les intermédiaires puisque qu'elle parle à son frère des prospects d'Alice pour le rendre jaloux. On notera encore la clairvoyance d'Ellie.


Sammy revient donc vers Alice. C'est dommage qu'il ait besoin qu'un autre homme valide Alice pour la valider à son tour et se foutre de ses problèmes d’élocution. Comme si Alice devait s'intégrer au village avant de pouvoir ambitionner une relation de couple avec Sammy. C'est dommage et en même temps c'est ce que voulait Alice sachant qu'elle voulait s'intégrer à tout prix et voulait devenir "une vraie jeune femme", comme elle dit, pour Sammy.


Le film se termine donc en laissant chaque personnage choisir son parcours de vie.


On peut noter que le personnage de la grand-mère reste trop secondaire alors qu'il y avait matière à l'investir plus dans l'histoire. La doubleuse de la grand-mère, voix française attitrée d'Angela Lansbury, confère un peu de profondeur à son personnage contrairement aux autres doubleurs (les voix françaises de Sammy et Alice sont vraiment catastrophiques) et c'est appréciable.


Le bémol du film, hors VF, c'est la manière très utopique dont il aborde la surdité, ce qui rend quelques scènes vraiment ridicules. Alice aurait réussi à parler en lisant sur les lèvres. C'est peu probable dans la réalité quand on sait qu'Alice n'avait même pas compris le lien entre bouche, son et vibrations produites pas les cordes vocales. Qu'elle ait réussi à comprendre les autres, oui, mais à les imiter aussi facilement, très peu probable. Une pensée pour Hellen Keller et Anne Sullivan s'impose pour analyser ce point particulier du film.

Dagerwoman
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le 2 juin 2020

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