La rédemption n'est pas chrétienne, elle est capitaliste

Le happy-end semble en totale contradiction avec le reste du film, enragé et dénonciateur. La question se pose alors: Oliver Stone ne cherche-t-il pas, avec cette fin, à se réhabiliter ?

Car Stone est un cinéaste engagé, abordant souvent des sujets sensibles où les États-Unis ont toujours le mauvais rôle : celui d'un impérialiste qui "boufferait ses enfants" pour toujours plus de dollars. Et il n'en est pas autrement ici, puisque nous assistons à la mutation du milieu du football américain, avec la fin d'une génération de passionnés (Al Pacino, coach en fin de cycle, et Dennis Quaid, Quaterback de légende proche de la retraite) et l'émergence de nouveaux requins (Sharks en anglais, nom de l'équipe), que sont Cameron Diaz, héritière du club, et Jamie Foxx, Quaterback de réserve révélant enfin tout son talent. Ce qui les oppose, c'est la vision de ce sport, et par-delà, celle du rapport à l'argent. Les anciens ne jurent que par la notion d'équipe, les jeunes pensent au profit individuel.

Et Oliver Stone prend évidemment position pour les puristes, dénonciant à grand coup de tirades et de scènes de dialogue aussi nerveuses que les combats sur le terrain, que la fin du football a commencé quand la publicité est apparue durant les matches, décidant du rythme d'une rencontre à la place des détenteurs de la science du jeu. Les médias, toujours eux, seront ceux qui construiront la nouvelle légende de l'équipe (Jamie Foxx), et s'acharnant sur un coach qui enchaîne les défaites. Et le cynisme est total, puisque le nouveau quaterback ne pense qu'à faire grimper sa côte aux dépens du jeu de l'équipe, et Cameron Diaz est prête à jouer avec la vie de certains joueurs pour optimiser les finances du club.

Stone tire donc à vue sur le monde du sport business, mettant en évidence comment le capitalisme pourri le sport, les gens, et une certaine vision du collectif. Et ce discours infuse tout le film, le long d'un scénario qui fait monter la pression en montrant un ensemble de personnages révélant leurs intentions et leurs visages, et où les divergences de philosophies ne peuvent conduire qu'à l'implosion du club à mesure que les enjeux sportifs augmentent.

Mais dans sa dernière partie, la scène du dernier speech du coach à son équipe avant le dernier match, change la donne. Il galvanise ses joueurs, certes, mais il parvient à faire changer Jamie Foxx de vision du monde. Ce dernier réussira à se faire accepter in fine par l'équipe (qui lui avait tourné le dos à cause de son attitude égoïste), et la mènera jusqu'à la victoire. Même le personnage de Cameron Diaz mettra de l'eau dans son vin, embrassant dans une certaine mesure l'importance de l'héritage sportif des anciens.

A première vue, la victoire idéologique du personnage d'Al Pacino ne semble pas coller au discours du film qui nous montre un monde qui change inexorablement vers un modèle économique qui bouffe tout sur son passage. Pour entériner son point de vue, le film aurait dû se terminer par une défaite: sportive (l'équipe ne pouvant faire groupe par un coup de baguette magique au moment opportun) et philosophique (le coach aurait du quitter piteusement le club pour se perdre dans l'oubli), laissant l'équipe aux mains des requins qui finiraient par tirer profit de ce changement de paradigme. C'est certainement comme cela que le film aurait terminé aux mains d'un réalisateur comme Michael Mann, toujours prompt à amener ses personnages vers l'échec inévitable face à un monde qui vous broie.

Alors pourquoi Stone met en scène cette rédemption, finalement, décevante, d'un point de vue de la teneur idéologique du film? C'est avec la réalité économique de l'industrie Hollywoodienne que le film dialogue. D'une part en dénonçant les dérives capitalistes du monde du sport, que l'on peut transposer à l'industrie cinématographique, broyant ses auteurs au profit de la rentabilité, et dont Stone est le témoin privilégié: auréolé de récompenses pour Platoon (1986), enchaînant les succès critiques et publics jusqu'à JFK (1991), avec des budgets toujours plus importants, il connaîtra les affres de l'échec avec Tueurs nés (1994), Nixon (1996) et U-Turn (1998). D'autre part en parlant à travers le personnage de Pacino, en admettant que les temps changent mais qu'il est toujours là, prêt à continuer, sous des conditions moins favorables s'il le faut.

Alors ce happy-end peut être perçu comme une concession à l'industrie, fournissant une rédemption en bonne et due forme correspondant au film sportif, afin d'assurer une certaine rentabilité à ce blockbuster (plus gros budget pour Stone à ce moment-là), un succès dont a besoin Oliver Stone pour ne pas être enterré.

Si bien que l'on peut considérer ce film comme un blockbuster calibré dans lequel Stone aura su implanter son discours critique, ou bien un film d'auteur dopé aux millions de dollars cédant aux exigences du business. Dans les deux cas le résultat est le même car le succès public du film (contrairement à une critique plutôt assassine) lui permettra de mettre en chantier son démesuré Alexandre, mais pour Any Given Sunday, la pression de l'exigence du succès couplée à la rage d'Oliver Stone accouchera de son dernier grand film furieux.

L'enfer du dimanche, de par la virtuosité de sa mise en scène, son montage, la puissance des acteurs et du discours, est un pur joyau indispensable de la filmographie d 'Oliver Stone, qui affirme ici avec brio que s'il est un réalisateur qui n'est plus sur le toit d'Hollywood, met un grand coup d'épaule à la concurrence et montre qu'il est encore un grand.

McReady
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le 25 févr. 2024

Modifiée

le 25 févr. 2024

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