Pour son troisième long-métrage de fiction, Pietro Marcello décide de s’attaquer à la France profonde d’entre-deux guerres. Il se fixe alors le défi de faire un film d’époque (compliqué à réaliser pour un film à petit budget), mais pas vraiment. En effet, le film n’a d’un film d’époque que les costumes et les décors, et tient plus d’une sorte de fresque féérique à l’Amour. On en arrive même à questionner ce choix d’époque tant le film est empreint d’une profonde modernité dans les rapports entre ses personnages. Marcello nous dépeint ici une sorte de micro-société matriarcale dans laquelle les femmes contrôlent totalement leur vie et même la vie collective. Le film en arrive donc à montrer une certaine conception de l’amour ou la femme prend les devants et décide pleinement de ses propres actes, le film pourrait ainsi être targué de « féministe ». Malheureusement, on finit par se demander si cet aspect du film n’est pas trop prononcé ou trop forcé par le réalisateur, certaines scènes souffrant cruellement d’un manque de sincérité et d’une espèce de tentative de prouver au monde que lui, Pietro Marcello, est un grand féministe.
C’est d’ailleurs le reproche majeur qu’on peut faire au film, le film se prend trop au sérieux par moment. Le film est très lunatique sur ce point alternant entre grandes phases dramatiques, moments féériques, moments de vie quotidienne et séquences presque comiques. Malheureusement l’équilibre n’est pas trouvé entre ces phases. Si les séquences dites « comiques » sont très réussies (on pensera aux personnages interprétés par Louis Garrel et Yolande Moreau), bien que représentant une trop petite partie du film, le reste ne s’en tire pas aussi bien. Ainsi, les instants féériques et presque ésotériques sont plus laborieux pour se mettre en place, le film essayant tant bien que mal d’instaurer une ambiance de contes, n’y parvenant finalement qu’à moitié. La partie dans laquelle Marcello réussit parfaitement ce qu’il entreprend, c’est quand il se décide à filmer la vie. Ce registre-là, Pietro Marcello le connaît très bien, il a commencé en faisant des films documentaires.
Ainsi, le film puise beaucoup de sa mise en scène dans celle du cinéma documentaire, en utilisant beaucoup de techniques de celui-ci comme des zooms, des caméras portées, des images d’archives et bien d’autres. Cette mise en scène très « documentarisée » porte beaucoup le film et montre toute la maîtrise de son réalisateur. Toutes les scènes de vie quotidienne sont d’une réalité ahurissante et sont filmées comme tel, en dépeignant ce triangle relationnel entre un père, sa fille et leur voisine. Le film met un point d’honneur à montrer les visages de ses personnages, opposant de ce fait les visages durs et fermés d’une vieille génération marquée par le désastre de la guerre, à ceux de l’innocence de la jeunesse et la liberté qui les accompagne. Mais le visage n’est pas la seule partie du corps qui intéresse Marcello, une grande place étant laissée aux mains de ses personnages notamment à travers des scènes de pur artisanat, là aussi grandement inspirée du documentaire.
L’autre très grand point positif du film, c’est le regard qu’il porte sur ses personnages féminins. Comme on le voit rarement dans un film qui parle d’amour réalisé par un homme, la caméra n’est pas du tout lubrique ni perverse. On nous montre un personnage féminin qui se baigne, qui se déshabille, qui est en pyjama, et tout ceci sans nous donner l’impression de mater une actrice de long en large. On peut notamment parler de la scène de tentative de viol de Jeanne par Renaud, qui est sûrement la scène la mieux réussie du film tant elle parvient à nous faire ressentir la détresse de son personnage sans pour autant nous forcer à regarder un acte aussi horrible. La caméra est fuyante et va dans tous les sens, ce qui retranscrit ainsi tout le caractère brouillon de l’action sans pour autant tomber dans le plaisir malsain d’un regard lascif et salace.
Pietro Marcello nous offre finalement un film d’une grande beauté, mais qui gagnerait à simplifier son univers en évitant de s’éparpiller dans trop de facettes qu’il n’arriverait pas à traiter de manière simultanée.