Il y a la beauté des petites choses, leur simplicité et leur pudeur. Et L'Eté d'Aviya est de cette beauté : discrète mais architecturale.


Israël, été 1951, pays en crise avec seulement trois ans d'existence officielle, vieille terre nouvelle, si conflictuelle. On ne passe pas par Israël, on y va : c'est une destination.
Avyia, 10 ans, orpheline de père, vit avec sa mère rescapée de la Shoah dans le village de Petach Tikva, dans la banlieue de Tel Aviv, depuis que sa mère a décidé de la retirer du pensionnat à la fin de l'année scolaire. Aviya découvre la vie quotidienne avec sa mère, ancienne membre des partisans pendant la guerre, prise de fréquentes crises de folie parce que déstabilisée mentalement par son vécu de déportée. On se moque de sa mère et Aviya la protège, rappelant que l'intégration des migrants survivants de la Shoah en Israël ne fut pas si aisée.


Couple fille-mère bancale, rejeté par leurs voisins apeurés par cette rescapée qui leur rappelle un passé trop proche ou qu'ils n'ont pas vécu : pas envie de le partager ni d'entendre l'inadmissible vérité. Parce que l'espoir et ses promesses de vie appartiennent à l'avenir et que la mère d'Aviya est du temps d'avant, avec sa gênante mémoire. Parce qu'Israël est un vieux pays neuf où tout est à bâtir et qu'on n'a pas le temps de faire de sentiment. Parce qu'une folle est à fuir, ici comme partout ailleurs.


Couple miné d'obsessions : celles d'une mère qui ne supporte pas que sa fille ait des poux, parce que le typhus, parce que les sélections, allégorie du rapport obsessionnel qu’entretient la société israélienne avec le souvenir de la Shoah ; et l'obsession d'Aviya dont le père fantomatique est dans tous les hommes à défaut de savoir la vérité sur cette absence paternelle abyssale. Questions sans réponse supportable possible, Aviya les pose toutes.


Couple d'amour parce que cette mère et cette fille s'aiment de traviole, sans savoir se le dire mais en l'ayant tellement compris : la rage de survivre de la mère déportée et détruite n'a d'égal que la rage de vivre d'une gamine qui ne peut rien réparer.


Aviya, tiraillée entre deux mondes, deux temporalités, deux continents, deux générations, deux devoirs (devoir de mémoire et devoir d'aller de l'avant) va transcender toutes les douleurs du haut de ses jambes maigrichonnes de gamine qui veut vivre vite, au cours d'un été initiatique dont elle sortira esquintée mais grandie.
L'Holocauste qui n'est pas son histoire va pourtant le devenir : elle en est l'héritière. Hériter des névroses, des douleurs, des horreurs, des obsessions, des mémoires et de leur silence. Hériter du droit de vivre sans avoir à s'en justifier dans un pays qui va devoir se justifier. Aviya est de cette génération : celle d'après les survivants et qui se donnera droit à l'insouciance. Parce qu'à 10 ans, ce qui compte est devant, pas derrière, surtout quand on est née loin de l'Europe et des chiens enragés qui ont œuvré à l'extermination de la génération précédente.


Admirable de simplicité et de tendresse, filmé avec une remarquable acuité, ce film est un petit bijou de retenue et de pudeur, nous rappelant, au travers d'Aviya, que finalement les questions sont tellement plus intéressantes que les réponses.


Tandis que moi quatre nuits

SophieChalandre
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le 16 sept. 2021

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Soph CH

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