"Quand les Dieux veulent nous punir, ils exaucent nos prières" (Oscar Wilde)

Léo Pons était un réalisateur de courts et longs métrages, très attaché à sa terre natale aurillacoise . On eût pu dire, en voyant ses films, qu'il était une sorte de Hobbit du monde réel, c'est à dire un être aspirant au calme et à la douceur de son foyer.
Mais la capitale de France, Paris, laissait planer son ombre sur cette idylle; une ombre effrayante de modernité et d'ambition.
C'est ainsi que le jeune réalisateur décida de réaliser L'Etrange journée de Monsieur Goodman.
C'est ainsi qu'un beau matin ensoleillé de fin de Juillet entra dans son écritoire un homme étrange, venu lui parler de son film.



"Quand les Dieux veulent nous punir, ils exaucent nos prières"



Cette citation d'Oscar Wilde fut sa première parole.
Déconcerté, Léo Pons prit le parti d'engager la conversation:
- Ah ! Je comprends: vous parlez de mon film, sans doute ?


En effet, L'Etrange journée de Monsieur Goodman narrait la rencontre d'un vieil antiquaire aigri et d'un homme étrange vêtu de noir, offrant d'exaucer trois voeux en échange d'un parapluie. Comme souvent dans ce genre de conte, les voeux ne servent qu'à accuser l'ambition et à démontrer qu'à condition de se contenter d'une vie simple, l'on a déjà tout ce dont on pourrait avoir besoin. Les trois voeux s'accumulent sans ne laisser rien derrière eux. Rien, ou presque rien. Car un des voeux, le plus humble reste exaucé et Monsieur Goodman a reçu, en échange d'un parapluie une belle leçon de vie.


Mais l'homme qui avait cité Wilde ne desserra les dents que pour ajouter, plus énigmatique encore :



"Qui peut dire quelle est la réalité: celle que nous vivons ou celle que nous rêvons ?"



Léo Pons, qui allait de surprises en surprises, reconnut l'excipit de son oeuvre et demanda à son étrange visiteur pourquoi il avait employé cette nouvelle citation.
Alors, l'homme s'assit et lui tint à peu près ce langage:



  • Un très beau conte fantastique que voilà, Monsieur Pons. Un schéma très topique, très classique, certes, mais un très beau conte fantastique. Ce qui me plaît dans votre court-métrage, Monsieur Pons, ce sont les allusions littéraires et cinématographiques volontaires ou involontaires.
    Je m'explique, car déjà vous m'observez tel un fou échappé d'asile. D'abord, on retrouve dès les premières minutes du film cette voix de narrateur héritée du Bilbon du Seigneur des Anneaux ou de la publicité pour les bonbons Werter's original. L'air de rien, cela met en place l'atmosphère de conte, ce parfum d'ancien et de rassurant. Vous saluerez pour moi, Monsieur Pons, ce grand doubleur qu'est Guy Chapelier (à qui l'on doit le doublage de James Bond dans Permis de tuer) pour sa belle prestation !
    Cette atmosphère de vieilleries est toute naturelle puisque votre histoire se déroule dans un magasin d'antiquaire. Ce n'est pourtant pas Le Cabinet des Antiques de M. de Balzac, ce serait plutôt sa Peau de chagrin que j'y retrouve, malicieusement détournée. Ce n'est en effet plus l'antiquaire qui propose un pacte mais l'acheteur.
    Un pacte évidemment faustien comme celui de Valentin et de l'antiquaire mais un pacte diabolique en apparence assez burlesque: trois voeux contre un ... parapluie ? Mais est-ce là bien un détournement ou suggérez-vous bien plus ?
    D'un naturel très romantique - comme M. de Balzac, je trouve deux interprétations à votre galerie de symboles.
    Existentielle. Cette horloge qui permet de créer le sentiment de fantastique, de révéler à M. Goodman qu'il n'a sans doute pas rêvé, cette horloge m'intrigue. Déjà, parce qu'elle ne fonctionne pas avant la rencontre et que nul n'a su la remettre en marche. Elle est comme ce pauvre M. Goodman, rendu aigri, négatif, parce que nul n'a su le remettre en marche. Et "ce curieux personnage" (das les deux sens de "curieux" j'imagine) va, dans le même temps "offrir à Monsieur Goodman l'occasion de changer sa vie" et relancer l'horloge. Remettre les pendules à l'heure, en somme. Quelle belle image baroque ! Une belle image qui n'est pas sans me laisser songer au Chant de Noël de Charles Dickens: vieil homme aigri, méchant, qui reçoit la visite de Jacob Marley, son ancien associé mort il y a sept ans, et qui s'annonce par le retour à la vie d'une cloche jusqu'ici restée inerte. Peut-être vais-je trop loin ? Et ce parapluie, l'objet de l'échange ? Protège-t-il d'une pluie qui signifie le malheur ? Figue-t-il le malheur à vivre, M. Goodman n'ayant à présent plus aucune protection, ou figure-t-il le malheur vécu dont l'inconnu décharge les épaules du vieil homme ?
    Politique. J'ai vu des hommes se battre à coups de parapluie mais peu se battre pour un parapluie. Et depuis qu'une horloge figure sur la photographie présidentielle de M. Macron, j'ai tendance à interroger politiquement les horloges. Et une question s'impose au spectateur, Monsieur Pons ! Pourquoi M. Goodman tient-il tant à ce parapluie, qu'il expose et ne vend pas ? Pourquoi préciser d'ailleurs qu'il ne le vendrait "surtout pas à un inconnu" ? Comme le gros plan objet et M. Goodman le soulignent, le parapluie vient de la Maison Piganiol, à savoir une entreprise familiale spécialisée dans la confection de parapluies depuis le XIXe siècle. Cette entreprise est située à Aurillac, qui se trouve être la capitale française ... du parapluie ! Me trompé-je, Monsieur Pons ?


Léo Pons, interloqué, ne trahissait aucune émotion. Il se demandait sans doute où son hôte était aller chercher toutes ces fadaises. Ou bien s'étonnait-il de ce que son interlocuteur ait pu deviner tant de choses au sujet de son film. Quoi qu'il en soit, il réservait ses commentaires pour plus tard.
Le glossateur, après quelques instants, reprit:



  • Ce parapluie, c'est Aurillac. Ce lieu qui semble toujours froid et pluvieux sur les cartes de météo France. Ce lieu encore vert que l'on présente souvent, caricature oblige, comme un lieu de province perdu. Un lieu qui ne vit pas l'heure de l'agitation parisienne. Mais voici que l'horloge tourne à nouveau et qu'un inconnu - un parisien ? - suggère un troc. Vendre le traditionnel parapluie vendu comme antiquité contre le pouvoir, l'argent, le poste de maître d'une grande nation. La tradition aurillacoise contre la modernité parisienne. Ce serait alors presque du Lone Ranger. Et, comme Tonto dans cette dernière référence, M. Goodman va découvrir que c'est un mauvais troc.


Léo Pons ne put étouffer un "Vous êtes diantrement politique !" mais l'autre éluda pour ajouter, l'air plus sombre et morose:



"Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur"




  • Qu'est-ce à dire ?, s'étonna Léo Pons


  • C'est à dire que j'ai néanmoins quelques réserves. Que j'ai jusque ici mon propre avocat et qu'il me faut aussi jouer les pères fouettards.


  • votre propre ... mais alors ...


  • D'abord, je n'aime pas votre antiquaire. Philippe Coudert, qui joue le personnage principal, a un jeu très scolastique. Trop, peut-être. A vrai dire, il tranche de beaucoup avec Théo Hellerman, à qui il donne la réplique. En plus d'avoir un nom idoine pour le rôle du Diable, il a un faux air de Jack Sparrow qui n'est pas déplaisant.
    Cela dit, ce n'est pas là que le bât blesse réellement. Le réel problème peut être résumé en six lettres: H.I.T.L.E.R. A votre décharge, Bernard Pivot évoquait il y a quelques temps le paradoxe hitlérien. Personne n'aime Adolf Hitler mais, puisque parler d'Hitler est vendeur, l'art, particulièrement l'art littéraire, ne peut s'empêcher d'y référer. Cela sans parler du célèbre Godwin point dont les français n'ont toujours pas compris le sens réel, vulgarisé qu'il est par bon nombre de youtubeurs.
    Pourquoi Hitler, lorsque le livre consulté par votre héros renvoie à Napoléon Bonaparte ? Napoléon, autant que l'horloge, aurait été un bon indice du fantastique. Certes, peut-être un peu facile. Mais


    les derniers instants d'Hitler dans son bunker



n'est-ce pas aussi un peu facile ? Dans le même temps, le format du court-métrage demande cet esprit de synthèse.
Mais on aimerait peut-être voir M. Goodman en président de la République, en prises aux difficultés insoupçonnées de la fonction. Ou en un dictateur d'un régime totalement imaginaire, nouveau et surprenant.


L'invité mystère se leva alors, serra la main de Léo Pons et se dirigea vers la porte de l'écritoire. Sur le seuil, il se retourna pour terminer:



Un beau conte sur l'ambition



L'Etrange journée de Monsieur Goodman, c'est surtout un beau conte fantastique, nourri de multiples références. Un beau conte sur l'ambition.
Monsieur Goodman, aux affres de l'orgueil, devient furtivement Monsieur Badman et comprend que son humble situation est bien plus préférable.
Une grenouille qui veut devenir aussi grosse que le boeuf et qui manque de peu de crever. Une fable politique provinciale. Une jolie petite comptine existentielle.

Frenhofer
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le 30 juil. 2018

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