"On arrivait mi-janvier"
Lion d'Or surprise et unanime à la dernière Mostra de Venise, L'Evénement était attendue sans trop l'être, deuxième film d'une réalisatrice peu installée avec des comédiens encore assez peu connus; malgré un Pïo Marmaille et une Sandrine Bonnaire aux rôles faisant office de caméo. Cependant, le sujet promettait au moins quelque chose d'intéressant et clairement en phase avec les différents (pardon mon pessimisme) retours en arrière malheureux amorcés par de nombreux pays. Et puis j'ai vu le film. J'ai pris une claque monumentale. J'y ai pensé, re-pensé, je l'ai revu... Et je peux décemment dire que l'on tient là le chef-d'œuvre de l'année.


Pourtant, apriori, c'est pas le genre de film que je met en haut de ma to do liste: entre un cadre très minimaliste voir naturaliste; offrant de longs plan (se muant en plans séquence), à la musique limite expérimentale, faite de notes désaccordées, très orchestrales mais peu musicales, et le côté produit actuel, se passant certes dans les années 60, mais pour nous raconter la vie du présent (sa fé raiflaichir, nous vivons dans une société, etc...). Et bien qu'elle ne fut pas ma surprise et ma joie de voir tous ces préjugés balayés dès les 5 premières minutes. Entre une scène grandement intimiste montrant Anne, la protagoniste, et ses amies, se préparer à aller danser sous la musique de l'époque et les beaux garçons; et cette fameuses scènes de boîte de nuit (si l'on peu dire) où les personnages semblent aussi libre que le vent, comme un instant suspendu, au design sonore pourtant lourd, comme si quelque chose n'allait pas. Tout le film est résumé en ces quelques instants.


Car le voilà le responsable, le trouble-fête: un bébé, encore inconscient mais il n'en faut pas plus, Anne ne le gardera pas. Enfin, c'est bien ce qu'elle désire, car on est encore dans les années 60 et, qui a dit que c'était mieux avant ? La loi la Veil n'est pas encore passée, et avorter est illégal. Notre protagoniste doit choisir: voir sa vie détruite par la venue d'un enfant, trop tôt, l'empêchant de continuer ses études et donc de devenir une femme de lettres OU voir sa vie détruite par soit la mort dans d'affreuses souffrances, soit la prison et une marginalisation forcée au reste du monde. Un dilemme cornélien prenant tout l'espace d'un cadre, déjà bien resserré dans un sublime 4/3, où les quelques notes semblent correspondre aux purs instants de répit/réflexion. Instants où elle est seule, presque en thérapie avec elle-même, loin de l'ambiance bruyante et hostile de la fac, où la solitude ne se faisait que plus ressentir…


Chiant me dites-vous ? C'est sûr que vu de loin, on pourrait penser au dernier film des Dardenne, mais c'est sans compter sur: le montage, finalement assez dynamique, la caméra, flottante qui, malgré les enchainements de plans séquence, ne se pose quasiment jamais sur un point fixe, et par dessus tout, son actrice, imprimant la pellicule et nous faisant ressentir chaque pigments de son agonie, redoutant l'inévitable. On a beaucoup parlé avec naïveté plus ou moins assumée de film d'horreur. Moi je parlerai de thriller. Un pur compte à rebours comme Fincher au plus haut l'envierait, offrant un réel contexte limite claustrophobe, se limitant à de simples écriteaux recontextualisant le nombre de semaine de gestation, et donc, l'imminence d'une décision finale. C'est pour moi, par ailleurs une des plus grandes forces du film, à savoir que ce dernier ne dispose que de peu d'arguments en sa faveur pour évoquer ce type de sentiments, allant au plus simple, au plus cru, mais toujours à hauteur de femme, jamais manichéen, toujours humain; et donc, inlassablement, toujours dans une horreur sociale lancinant à du pur viscéral qui met à mal son spectateur.


On peut encore une fois remercier les comédiens, délivrant une prestation toujours juste et surtout sur le fil du rasoir, le tout dans de longues scènes, parfois des plans séquence, demandant une concentration ainsi qu'une maîtrise de bout en bout. Guess'what, paris réussis, que ce soit pour des nouvelles têtes que j'ai diablement envie de revoir, ou des acteurs établis qui viennent passer une tête pour notre plus grand plaisir (Pïo <3). Et puis tout ça, encadré par un scénario s'espaçant du livre éponyme d'Annie Ernaux, de part sa nature épistolaire et certains passages éclipsés, en faisant alors une adaptation totalement réussie. Et ce, en adéquation avec le scénario brut, qui est une petite merveille.


Si je ne devais qu' émettre un petit reproche, cela serait un léger ventre mou à l'entracte de l'acte 2, mais qui ne gêne pas longtemps; tout en accentuant un effet crescendo et en gardant les qualités énumérées ci-dessus. En dehors de ça, pour moi, L'Evénement est un chef d'œuvre, à tout niveaux aussi bien visuels que narratives, d'acteurs comme d'ambiance, car il faut avouer que bien que cela ne passe que part des habits d'époque, et une musique populaire, la contextualisation marche à merveille, et l'on se sent transporté sans le moindre effort à cette époque. Ce qui me frappe le plus c'est à quel point Audrey Diwan n'a pas eu besoin de tant d'efforts ou d'argent pour arriver à son but, c'est limite un film que l'on pourrait, théoriquement touts faire, mais elle y ajoute sa maîtrise du langage cinématographique, avec un brin de politique bien sentit et jamais perturbant, comme un rappel que ces passages d'horreurs, sont bien partis pour redevenir une norme (on embrasse nos amis extrémiste cathos, interdire l'IVG c'est bien, les femmes la pratiquent quand même, game over, try again).


Si l'on ne devait retenir qu'un film cette année, de part ses qualités narratives, de jeu, de mise en scène, d'ambiance sonore, de body horror (je l'ai dit), de pertinence du propos et surtout d'un emboitement parfait de tout ces attributs, alors j'espère que vous verrez comme moi, en ce coup de poing viscéral, en ce L'Evénement, seulement 2ème film de la dorénavant à suivre Audrey Diwan, un chef-d'œuvre important, fort, jusqu'au boutiste et ravageur. Bravo, juste BRAVO pour ce tour de force.

Vacherin Prod

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