Une chose frappe très rapidement et très directement dans L’Événement. Ce sont ses choix formels, simples et précis : l’utilisation d’un format carré et d’une longue focale nous collent au plus près d’un personnage et de sa perspective, qu’on ne quittera pas d’une semelle.


Anne est de tous les plans. Quand elle est tournée vers l’extérieur, c’est toujours avec l’arrière de sa tête au premier plan. Quand elle est seule (et Dieu sait qu’elle est souvent seule), c’est en gros plan avec du flou autour.


Premier effet issu de ces choix : l’effacement du cadre visuel est aussi un effacement du cadre spatio-temporel. On a donc un film qui fait le très, très bon choix, de ne pas hurler !!! 1963 !!! et de ne pas s'abîmer dans une reconstitution fétichiste de l’époque, à grand coup de signes manifestes et lourds. Il concentre ses efforts ailleurs.


D’un point de vue purement superficiel, cette subtilité est déjà appréciable. Mais elle a aussi pour effet de ne pas créer une rupture trop forte entre l’univers du film, tel qui est présenté, et aujourd’hui. Plutôt qu’une œuvre historique qui donnerait le ton en mode “Dans c’temps-là…”, on a ici quelque chose qui sonne contemporain, qui se raccroche à notre présent, ce qui lui offre donc une certaine urgence et renforce l’identification.


C’est parce qu’il fait le choix de l’expérience d’un individu plutôt que le portrait d’une époque et d’une société. Ces éléments sont présents dans l’intrigue, bien sûr. C’est son cadre et cela émerge à travers des dialogues et des personnages qu’Anne rencontre. Mais la mise en scène fait le choix fort de recentrer son point de vue et de vraiment faire d’Anna son sujet.


Le deuxième effet de ces choix esthétiques, et c’est en lien avec ce resserrement de la perspective, c’est la viscéralité. En se concentrant sur une personne mais aussi, dans plusieurs séquences-clés, sur ce corps qui lui appartient mais qui lui est dépossédé, engendrant souffrances à tous les niveaux, le film parvient de façon forte à remettre l’enjeu essentiel au cœur de son thème. Cette brutalité, douloureuse, est nécessaire pour lui rendre sa juste valeur et lui faire atteindre une certaine universalité. Uniquement intellectualiser la souffrance et l’injustice, c’est risquer de les mettre à distance. Pas question de ça ici.


Bien sûr, se montrer hyper-focus sur un personnage, ses tourments et sa solitude nécessite une actrice au top. Eh bah ça tombe bien, on a une actrice au top. Anamaria Vartolomei est juste dingue dans le film, je suis un fan immédiat. Même si le cadre me laissait le choix, je pense qu’en tant que spectateur j’aurais du mal à détacher mes yeux d’elle.


Au bout du compte, ne pas conjuguer le film au passé et rappeler qu’on parle de corps en souffrance, c’est donc ne pas seulement faire du film une réflexion sur l’avortement avec perspective historique. Oui, il y a question de la loi, et aucune loi n’est acquise. Mais pourquoi ce film est précieux aujourd’hui, c’est qu’au-delà des considérations législatives (ce à quoi l’avortement est souvent réduit), on parle ici de honte, d’aliénation, de culpabilité et d’empêchement. On montre que l’avortement et la question de la façon dont on traite le corps des femmes est toujours une question brûlante, aussi douloureux cet état de fait soit-il.

ClémentLepape
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le 25 févr. 2022

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