L'Exercice de l'État par Gérard Rocher La Fête de l'Art

C'est au milieu de la nuit que Bertrand Saint-Jean alors ministre des Transports est tiré du lit par un appel téléphonique de Gilles, son chef de cabinet. En effet il doit se rendre immédiatement dans les Ardennes où un terrible accident d'autocar transportant des enfants vient de se produire faisant de nombreuses victimes.
C'est à partir de ce moment dramatique que le ministre va devoir bon gré mal gré faire des déclarations, des discours convenus, des déplacements laborieux et surtout affronter le monde de la politique. Dans ce "cercle" gouvernemental toutes les magouilles, toutes les luttes d'influence sont bonnes pour aller chercher une place. Le ministre des Transports, comme les autres, n'a pas d'amis. Farouche opposant à une loi sur "la privation des gares", il est sur un siège éjectable mais l'exercice du pouvoir fait naître un instinct de survie. Malgré les déboires et sans cette drogue du pouvoir, le ministre n'est plus qu'un homme trompé, désespéré.


Nous voici plongés dans un climat trouble et souvent malsain: celui des effets de manches lourdement prémédités, celui des calculs improbables en tous genres et celui des pires compromissions. Dans ce petit monde infernal Bertrand Saint-Jean est un ministre qui a ses convictions, tout comme les membres de son cabinet, et qui ne tient pas à y déroger malgré le climat politique qui veut que la petite "girouette" indique le "bon côté des choses". Le ministre du Travail est en fait un homme comme les autres contrairement à l'image que l'on se fait de ces messieurs-dames élégants et beaux parleurs. Il a d'abord sa vie privée comme chacun de nous. Il a ses rêves érotiques comme beaucoup. Il doit gérer sa fonction parfois aussi dangereuse que stressante ainsi que la pression de ces maudits sondages, les "poissons pilotes" de la politique politicarde.
D'un autre côté cette ambition maladive l'aide à surmonter les événements, les trahisons et même à trahir parfois ses propres idées afin de protéger son avenir politique. L'homme étant sensé remplir sa fonction afin d'apporter un remède à ses concitoyens n'est qu'en fait un acteur de mauvais théâtre car lui aussi joue sa carrière et son avenir incertain. Bertrand Saint-Jean et son équipe savent qu'ils sont entrés dans un jeu de chaises musicales et, pour gagner, leur propre destin l'emporte sur les valeurs qu'ils représentent aux yeux des électeurs. Ainsi va le chemin tortueux et piégeux de la politique, chemin parfois sans issue non par ceux qui le vivent mais par nous qui le subissons.


Pierre Schoeller en réalisant ce film nous propose une analyse sans concession de cette micro-société qui nous gouverne et nous livre une œuvre passionnante et courageuse. Le milieu qu'il nous fait découvrir est aussi clinquant que médiocre, calculateur, malhonnête et plein de voracité. Les langues de vipère avec leurs mensonges quotidiens sont autant de sortie que les coups bas que ces professionnels de la politique se distribuent sans compter.
Pour dresser ce triste constat qui ne surprend plus grand monde, le rôle-titre de Bertrand Saint-Jean a été confié à Olivier Gourmet qui nous fait ressortir à merveille le portrait d'un homme à la personnalité ambiguë. Doit-on le détester pour ses indélicatesses et certaines de ses attitudes et actions ? Doit--on l'apprécier pour son entêtement à défendre ses convictions ? Celles-ci l'emporteront-elles sur la fonction ? C'est tout cela que nous interprète avec force Olivier Gourmet dans ce personnage aux multiples facettes. Il est entouré de façon absolument convaincante par Michel Blanc dans le rôle de Gilles, un chef de cabinet avisé, discret et dévoué au ministre qu'il connaît mieux que quiconque. On retrouve Zabou Breitman en responsable de la communication et Sylvain Deble en surprenant chauffeur silencieux du ministre.


Ce film fait peur par ce qu'il démontre. Et là, depuis fort longtemps, l'actualité ne peut que renforcer Pierre Schoeller dans sa crédibilité en nous croquant le portrait d'un monde arriviste et ambitieux qui n'est pas en phase avec le peuple.
J'ai vraiment apprécié ce film qui met le doigt sur un mal persistant qui mine l'ensemble de la société.


Ce film a obtenu :


Festival de Cannes 2011 :
- Prix de la Critique internationale pour Pierre Schoeller.
- Prix FIPRESCI pour Pierre Schoeller
César 2012 :
- César du Meilleur acteur dans un second rôle pour Michel Blanc.
- César du Meilleur son pour Olivier Hespel, Jean-Pierre Laforce, Julie Brenta.
- César du Meilleur scénario original pour Pierre Schoeller.


Ma note: 8/10

Grard-Rocher
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le 3 avr. 2016

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