Avec « L’homme du peuple » qui nous conte l’extraordinaire parcours du fondateur de Solidarnosc, Lech Walesa, Andrzej Wajda conclut une œuvre en grande partie vouée à l’histoire de la Pologne. Figure incontournable du XXe siècle, Walesa a déjà été présent à deux reprises dans la filmographie du cinéaste polonais. Tout d’abord dans « L’homme de marbre» (1976), premier volet de cette trilogie consacrée par Wajda à la résistance de la classe ouvrière polonaise contre le communisme imposé par l’URSS, suivi en 1981 par « L’homme de fer », récit des grèves qui donnèrent naissance à Solidarnosc, syndicat indépendant du bloc communiste et principal artisan de sa chute. Walesa y apparaît à travers les documents de l’époque où il harangue les ouvriers, négocie avec les dirigeants et signe les accords de Gdansk. Trilogie qui s’achève aujourd’hui par « L’homme du peuple », où Wajda, âgé de 88 ans et hanté par la question de la mémoire collective, se livre à une réflexion inquiète et passionnée sur l’âme de son pays et son existence toujours menacée par les vicissitudes de l’histoire.


Convaincu que ce sont les hommes et non les masses qui en écrivent les pages essentielles, Wajda s’emploie à le démontrer. D’abord, parce que s’attachant aux pas de Walesa depuis le début des années 70, il souligne bien l’enchaînement des événements qui ont conduit le petit ouvrier électricien à prendre la tête de la résistance, David devant un Goliath apparemment invincible. Walesa est décrit comme un visionnaire, comprenant avec une intuition infaillible jusqu’où il peut aller trop loin dans son bras de fer héroïque avec le régime et comment un homme très ordinaire, comme lui, est poussé par la situation dramatique de son pays à devenir un héros.


Le Walesa incarné par l’acteur Robert Wieckiewicz est quelqu’un d’autoritaire, d’arrogant et de narcissique (mais l’authentique est en plein accord avec ce double et ne nie rien), déchiré entre sa famille nombreuse et la gravité de ses engagements, ce qui l’oblige à se montrer parfois cassant et cruel envers sa femme. C’est elle qui ira chercher son prix Nobel de la paix à Stockholm en 1983. Le film s’emploie à détailler comment il est possible à un homme déterminé de changer le monde, ce, au cours d’une lutte de longue durée à laquelle Lech Walesa a donné une ampleur inattendue et concluante mais qui fut préparée, durant deux décennies, par une succession d’hommes intrépides. D’autre part, l’opus ne cache pas le rôle déterminant du pape Jean-Paul II et du catholicisme, en reconstituant cette scène surréaliste où, pour protéger le chantier naval de l’irruption des forces de l’Ordre, Lech Walesa ne trouve rien de mieux que d’y organiser une vaste messe en plein air, réduisant à l’impuissance la police politique confrontée à des milliers d’hommes à genoux. Une scène magnifique, lourde de symbole et d’émotion et un personnage inspiré qui a rendu cette histoire possible. Ainsi sont-ce ces moments uniques de l’histoire de la Pologne que le réalisateur a souhaité graver dans le marbre.
abarguillet
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le 4 déc. 2014

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abarguillet

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