Florian Henckel von Donnersmarck, connu pour un bon film (La vie des autres) et un mauvais (The Tourist) s'affirme peut-être (enfin) ici comme un grand réalisateur avec cette fresque dense, qui brasse autant de thèmes que l'art et la recherche constante du Beau, l'amour, les traumatismes d'enfance, la folie, la mégalomanie, et, surtout, une relecture du passé sombre de l'Allemagne nazie, de la guerre, opposée au quotidien en RDA.


Ce premier épisode de cet ambitieux diptyque rappelle dans son approche le tout aussi réussi Heimat d'Edgar Reitz dans lequel était ausculté de près le quotidien rural de l'Allemagne du XIXème siècle à travers le regard d'un adolescent romantique rêvant de voyages et de beauté.
Cette Oeuvre sans auteur (Partie 1) présente plus ou moins le même postulat de départ, déplaçant son récit en ville et dans les heures les plus sombres de l'Allemagne, en offrant une vision tragique (une première partie assez terrifiante) où l'Art est d'emblée plombé et soumis à des mouvements politiques qui lui imposent chacun leur vision et leur censure, loin de l'angélisme naïf du romantique du siècle précédent où le Mal semble n'avoir pas encore été atteint.


Cet Art, s'il est supposé être la clé de compréhension du monde par sa frontalité avec le vrai (ne jamais détourner le regard) et la recherche éternelle du Beau dans cette vérité (d'où cette terrible première partie qui filme la folie et l'horreur du nazisme et, plus précisément, de son eugénisme des plus monstrueux), est ici bousculé, manipulé, tordu, jamais pris pour lui-même, toujours pris comme un moyen, comme le vecteur d'un message politique (cette ouverture sur les artistes décadents et dangereux, opposée à cette conclusion sur l'art communiste fondé sur la représentation du prolétariat, deux facettes d'une même vision d'un art de propagande).
Comme toute réflexion sur l'Art, le film est aussi une puissante réflexion sur son utilité, d'autant plus plongé dans ce contexte de nazisme où la vision eugéniste a poussé à des génocides atroces, mettant au cœur de sa justification l'utilité ou non d'une vie.


Qu'est-ce-qu'une vie utile ? Pour qui l'est-elle ? Qu'est-ce qu'un art utile ? Pour qui l'est-il ?


Sur ces questions en miroir, Von Donnersmarck dresse un habile parallèle entre le personnage de Herr Professor Carl Seeband, incarnation trouble du Mal (un gynécologue, autant stérilisateur et condamnateur à mort que donneur de vie, et notamment, donneur de la plus belle des vies, celle de l'amour de notre héros), comme toujours parfaitement interprété par l'excellent Sebastian Koch, et de notre héros, jeune artiste prometteur, au talent divin.
Tous deux sont maîtres dans leur art respectif, tous deux assez mégalomanes ("Moi, moi, moi !" s'énervera un professeur de peinture, fervent communiste donc farouche défenseur de l'ego mis de côté au service du peuple), deux hommes qui chacun livrent leur vision sur le Beau, l'utilité.
Dans cette opposition, le réalisateur trouble son écriture pour mieux les mêler, leur faisant dire de la même manière "Je le fais car je le peux.", soulevant là encore une question primordiale aux échos très contemporains (l'évolution de la technique est-elle régie par l'impératif de la possibilité, se risquant à des dérives que l'Histoire et l'Humanité ont déjà connues, ou doit-elle s'accompagner de réflexions préalables, et s'imposer des limites ?)


Il laisse ainsi naître progressivement ce qui sera probablement l'objet du second volet, leur reconnaissance mutuelle l'un dans l'autre tout autant que leur rivalité pour une même femme (la fille de l'un, l'amour de l'autre).


Enfin, sachant transcender l'académisme formelle qui est le sien, Florian Henckel Von Donnersmarck livre un film de toute beauté, avec son lot d'images magnifiques, hypnotisantes, mémorables, montrant l'art au travail (et c'est si rare), captant le regard perçant de l'artiste et sa jeunesse vibrante et romantique, le tout accompagné par l'évidemment sublime partition de Max Richter.


Peut-être n'y a-t-il finalement rien de plus beau qu'un film sur la recherche constante de la beauté, ce thème forçant le ou la cinéaste qui s'y attaque à faire de même.


Critique de la Partie 2 : https://www.senscritique.com/film/L_OEuvre_sans_auteur_Partie_2/critique/242612096

Charles_Dubois
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le 22 févr. 2021

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Charles Dubois

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