Un film éternel pour un conte éternel
Quand vous parlez à un mordu de cinéma de La Belle et la Bête, il pensera aussitôt à l’adaption made in Disney (1991) mais surtout au film de Jean Cocteau, avec Jean Marais, sorti en 1946. Vu l’écart de décennies entre les deux longs-métrages, pas étonnant que ce soit le dessin animé qui reste en mémoire le plus facilement. Surtout qu’avec un film aussi vieux, il faut s’attendre à bon nombre de rides qui se font de plus en plus remarquer ! Eh bien, le résultat à l’heure actuelle conserve encore pourtant tout son charme !
L’histoire reste inchangée (en même temps, comment la modifier lorsqu’il s’agit d’une adaptation ?). Avec néanmoins tout un tas de détails scénaristiques dont ne pouvait présenter le Disney, pour que son long-métrage soit regardable de tous les enfants. Si nous avons Belle qui atterrit entre les griffes de la Bête par un concours de circonstances (la créature répugnante, en réalité un prince, tombe amoureux de la fille et doit s’en faire aimer en retour, ce qui se réalise petit à petit vu que Belle va aimer l’homme pour sa beauté interne et non externe, malgré la jalousie du prétendant de l’héroïne), viennent s’ajouter de sombres nuances à la trame principale (la jalousie des sœurs envers Belle qui évoque alors Cendrillon, le père au final prêt à donner une de ses filles à la Bête pour rester en vie, la déprime de la Bête au départ de Belle qui le pousse presque au suicide). Sans oublier qu’ici, vous n’aurez pas d’objets et de meubles qui parlent, pure invention des studios Disney. Il y a bien quelques sortilèges dans ce film (les bustes qui regardent les gens passer, les chandeliers éclairent les environs d’eux-mêmes, la table remplit les assiettes…) mais cela n’a que pour seul but d’instaurer une ambiance, de la magie, à l’encontre du monde bourgeois et réaliste de Belle et de ses proches.
Parlons de l’atmosphère, justement ! Travaillée à merveille ! Autant nous avons une ambiance champêtre du côté de Belle et parfois malicieuse (le cancans des canards qui viennent accompagner les discussions des frangines par moquerie), autant du côté de la Bête cela se montre pesant et lourd. La magie citée plus haut n’instaure pas d’étoiles dans nos yeux, au contraire ! Elle est utilisée pour rendre l’ensemble assez ténébreux (avec le jeu de lumière des chandeliers, le regard mystérieux des bustes…) voir un chouïa effrayant (la musique qui n’explose pas, qui reste calme jusqu’à l’apparition de la Bête). Franchement, pour l’époque, arriver à parvenir à un résultat qui fait encore de nos jours de l’effet, chapeau ! Rien que pour ça, La Belle et la Bête de Jean Cocteau mérite d’être vu !
Mais surtout, le film vaut le visionnage grâce au maquillage de la Bête. Bon, d’accord, beaucoup des générations actuelles rigoleraient un peu en voyant cette créature se voulant effrayante mais qui ne l’est plus. Avec notamment les avancées en technologie visuelles devenues accessibles qui procurent le réalisme souhaité par un pubic plus sévère (il n’y à qu’à voir les premières photos de La Belle et la Bête version 2014, avec Vincent Cassel dans le rôle titre). Mais justement, les effets par ordinateur reflète la facilité. Alors mettez-vous à la place des réalisateurs et techniciens de l’époque, où le maquillage faisait fureur. Pensez à La Planète des Singes qui à fait des ravages pour ses acteurs simiesques. Pensez donc au calvaire de Jean Marais de porter cet accoutrement (5 heures de maquillages, un costume inconfortable qui obligeait l’acteur à s’alimenter qu’en purée et compotes lors des pauses). Et quand on voit ce que cela donne, on ne peut être qu’ébloui devant un tel travail ! Notamment avec un interprète comme Jean Marais qui pour ce film, se met dans la peau de divers personnages (la Bête, le prince redevenu normal à la fin du récit et le prétendant Avenant), le forçant à prendre plusieurs jeux d’acteurs en un seul film.
Après, on ne peut pas dire que La Belle et la Bête signé Cocteau puisse trouver aisément sa place auprès du large public actuel. Habitué à « mieux » en terme de visuel et réalisme, comme je le disais plus haut. Et pour cause, comme tous les films d’époques, celui-ci propose un casting qu’il est aujourd’hui difficile de juger de sa qualité, tant les comédiens semblent parfois surjouer niveau émotions (chagrin, amour, colère…). Surtout avec en fond une musique qui en fait souvent trop à ce niveau. Mais ça, tous les vieux longs-métrages arborent ces détails. Ce qui ne cachent pas l’âge du film, malheureusement.
Qu’importe ! Pour qu’un tel film puisse encore faire parler de lui aujourd’hui tout en conservant son charme niveau visuel et ambiance, on ne peut qu’applaudir devant un tel spectacle ! Le problème résidant dans le fait que regarder un vieux long-métrage puisse déranger certains jeunes spectateurs ou non. Mais quand une œuvre traverse ainsi les âges, on se doit de la regarder à tout prix !