Robert Wise est un réalisateur que le temps a un peu oublié, ou éventuellement décidé de mal-aimer. Beaucoup considèrent (à tort) sa Mélodie du Bonheur comme kitch et datée, son Star Trek comme inutilement perché, et son West Side Story comme gentiment vain. Et d’autres films sont carrément oubliés, j’en ai moi-même encore un certain nombre à découvrir. La Canonnière du Yang-Tse est pourtant une production d’une sacré envergure, à mi-chemin entre le film de guerre façon John Sturges, et la fresque historique façon David Lean.

S’éloignant un peu des grands poncifs récurrents à l’époque de la seconde guerre mondiale déclinée sous tous ses angles et toutes les stars possibles (McQueen, Sinatra, Lancaster, Martin, O’Toole...), le film de Wise nous conte un pan de la décolonisation Chinoise au milieu des années 20. Un sujet qui s’inscrit finalement dans une certaine actualité, puisque les Etats-Unis sont à l’époque engagée en pleine guerre du Viet-Nam. Mais Wise ne cherche pas nécessairement à donner un cours d’histoire objectif sur les faits qui s’y sont passé, mais plus simplement d’articuler ce mouvement historique autour de l’équipage d’un vieux rafiot, une canonnière plus exactement, le San Pablo. Le genre de bateau un peu vétuste datant de la guerre Hispano-Américaine, plongée dans une époque où l’on commençait à construire des cuirassés.

Je trouve l’écriture sympathique, mais elle manque un peu de lyrisme dans son traitement. Je m’explique : sur plus de 3h de film, on s’attend à être pas mal envoûté par justement cette longueur, sublimée habituellement par une sorte d’ambition formelle et émotionnelle. Ce qu’ont fait David Lean ou Joseph L. Mankiewicz. Ici les éléments s’enchainent, sont parfois intéressants, mais le manque de la petite étincelle se fait ressentir, c’est peut-être un léger manque de profondeur. J’aurais aussi voulu que les personnages soient un peu plus étoffés, façon La Grande Evasion. On retrouve aussi Steve McQueen et Richard Attenborough, mais on s’attache beaucoup moins à leurs personnages, et finalement la finalité de leur destin est bien moins intéressante que dans le film de Sturges. Idem pour le reste de l’équipage, traité trop rapidement. Pourtant il y a à nouveau des séquences intéressantes qui pourraient pousser un peu la caractérisation. D’ailleurs j’ai déjà senti les acteurs bien plus inspirés que ça. Cela dit, c’est fluide, il n’y a pas trop de temps morts, et je n’ai pas ressenti les 3 heures, ce qui est agréable. On vogue agréablement sur le San Pablo.

Cette impression de fluidité est aussi portée par la réalisation de Wise, plutôt classieuse. J’ai été vraiment surpris par la fluidité avec laquelle il manie sa caméra à l’intérieur de la canonnière, à une époque où le steadicam n’existait pas encore. On passe aisément d’un coin de la salle des machines à l’autre, voire d’un étage à l’autre grâce à des mouvements de grue bien pensés. C’est là tout l’avantage d’avoir un découpage bien pensé, qui en plus d’être simplement fluide (et sur 3h, faut le tenir...) permet de mettre très bien en valeur des aspects intéressants au fur et à mesure de l’histoire. D’autant plus que Wise (et son directeur photo, MacDonald) sait utiliser pleinement son 2.35 et offrir une photo parfois assez splendide. De quoi rattraper le travail de MacDonald sur un de ses autres films qui m’avait bien peu convaincu de ce côté-là, Le Bal des Maudits.

Comme d’habitude dans bien des films du genre, on bénéficie du travail de Jerry Goldsmith à la musique, mais d’un Jerry Goldsmith inspiré (non pas que je prétende que le bonhomme n’est habituellement pas un compositeur inspiré, mais il a signé plus d’une bande-son insipide dans son immense carrière). D’autant plus que, chose très plaisante à l’époque, le film est ouvert par un écran musical de plusieurs minutes. On retrouve ce même genre d’interlude pendant l’entracte, ce qui est très agréable pour savourer la composition, et opérer une première plongée dans l’univers du film. C’est une chose qui me plait beaucoup, d’autant plus que Wise en avait livré une absolument splendide au début du film Star Trek, aussi simple que grandiose, et toujours portée par la musique de Jerry Goldsmith.

J’en attendais peut-être un peu plus, mais La Canonnière du Yang-Tse se révèle être tout de même une fresque agréable orbitant autour d’un évènement historique fort intéressant. Si ça n’est pas du niveau de ce qu’a pu offrir David Lean dans le même genre, c’est un film qui mérite néanmoins d’être découvert au sein de la carrière de Robert Wise. Les prochains à découvrir : L’Odyssée du sous-marin Nerka et L’Odyssée du Hindenburg.
ltschaffer
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le 11 nov. 2012

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Lt Schaffer

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