Feu d'amour adolescent en Algérie peu avant "Les années de braise"

"Palmedorisé" (en 1975, pour "Chronique des années de braise"), Mohamed Lakhdar-Hamina n'a jamais triché avec ses films. Modeste dans la sincérité : "J'ai toujours raconté des choses vraies, simplement parce que je ne sais parler que de ce que je connais".
Evoquer son grand amour d'adolescent, d'autres auteurs l'on fait avant lui. Mais "La dernière image" est une vision à part. En raison du contexte historique : il montre le jeune Algérien qu'il était, tombant éperdument amoureux de sa jeune institutrice française, l'année scolaire 1939 ! L'arrivée de Mlle Boyer, inexpérimentée sur le plan pédagogique et décalée par rapport au modus vivendi instauré entre les communautés française et arabe, agit en fait comme un révélateur. Interrogation gage de blâme du directeur pour l'accueillir... et "la cueillir" : "Pourquoi avez-vous pris le bus des indigènes alors qu"une voiture vous attendait à la gare ?". Mépris immédiat de certains de ses collègues et compatriotes devant son approche anticolonialiste de la vie à M'Eila-Boussada. A l'inverse, c'est l'incrédulité amusée de ses interlocuteurs algériens devant son désir de dialoguer fraternellement avec eux. Et fascination du jeune Mouloud pour cette jeune femme à peine plus âgée que lui et au riche credo humaniste. Instit soit-elle !
Lakhdar-Hamina magnifie la portée sentimentale de son récit autobiographique en faisant jouer son rôle à l'un de ses fils. Tournant sur les lieux mêmes de son enfance, il porte un regard très lucide sur cette charnière année 1939. Lucide, avec ces scènes du quotidien où ce sont bien les germes de la traumatisante Guerre d'Algérie qui s'y enracinent, en marge de la reddition militaire de la France, vite synonyme de perdition politique. Et généreux, aussi, gommant tout manichéisme : bons d'un côté, méchants de l'autre, selon le teint de peau ! L'ado déchiré qui regarde un bus s'éloigner à l'horizon personnifie à la fois l'attachement profond et la rupture devenue inéluctable.
Filmée et incarnée avec coeur (Véronique Jannot et Merwan Lakhdar-Hamina en tête d'un générique franco-algérien), "La dernière image" est une oeuvre sans contrastes exagérés. Juste un instantané fixant une douloureuse nostalgie des deux côtés de la Méditerrannée.

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le 8 mars 2016

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