"La Discrète", ce titre résonne encore en moi.
Quand j'étais plus jeune, il y avait dans le salon de mes parents la cassette de l'enregistrement TV de ce film : le titre "La Discrète" était écrit au stylo bic bleu, à la main en assez petit, sur la bandelette autocollante blanche de la tranche d’une VHS qui était disposée dans les rayonnages près du magnétoscope.
J'ai longtemps "vu" ce titre sans jamais y prêter réelle attention, et peut-être qu'un peu plus tard je me suis demandé de quoi pouvait bien parler ce film que j'avais longtemps considéré comme un film sérieux, "pour les grands".


Quelques années plus tard, durant mon adolescence, j'ai été marqué par les films d'Éric Rohmer, mais je n'avais jamais repensé à "La Discrète", film inconnu et oublié. Inconnu, alors qu'il est pourtant l'archétype-même de ce cinéma français "à la Rohmer" que j'affectionnais, et oublié, alors que son titre était paradoxalement resté incrusté dans ma mémoire visuelle.


Bien des années plus tard, je me suis replongé avec plaisir dans l'atmosphère parisienne des années 90, mais j’ai été cependant sur la réserve à cause des insupportables cabotinages de Luchini. Heureusement, ici son jeu colle parfaitement au caractère du personnage qu'il incarne : Antoine, un auteur parisien frivole, perclus de certitudes, qui s'écoute parler et énumère régulièrement toutes sortes d’aphorismes sentencieux. Cet aspect du film qui pourra pour certains spectateurs sembler "désagréable" a en réalité tout son sens dans le scénario, mais j'y reviendrai…
J'ai également été gêné par la manipulation qui est mise en œuvre, son caractère improbable mais surtout hautement misogyne, et je me suis demandé si les mœurs de l'époque auraient sur moi un effet dérangeant : Jean, le libraire-éditeur d’Antoine, lui propose de séduire une femme au hasard puis, une fois que celle-ci sera tombée amoureuse de lui, de la quitter, et de tenir un journal relatant cette aventure. Encore une fois, cet aspect incommodant a heureusement un réel intérêt dans ce que le film veut montrer de ses personnages.


"La Discrète" est plein de maladresse mais plein de charme, et il y a deux scènes qui m'ont particulièrement touché.


La première est celle de l’aveu que Catherine fait à Antoine


dans le lit à la fin du film : elle l'oblige à revenir près d'elle et prend à son tour (enfin) la parole pour lui raconter, un peu comme il l'a fait tout au long du film, une anecdote marquante. Contrairement lui, qui passe sa vie à déblatérer des heures sur des histoires qu'il n'a pas vécu, Catherine évoque un moment fort de sa vie qui crée une magnifique digression dans le film et qui donne à son personnage une ampleur jusqu'alors insoupçonnée.


Antoine, qui pense toujours tout savoir, reste sans voix, enfoncé dans le lit le visage dans l'ombre, tandis que celui de Catherine est illuminé par un rayon du Soleil qui se lève. Mention spéciale à Judith Henry qui incarne à la perfection ce personnage à la fois simple et bouleversant.


La seconde scène qui m'a ému est celle où Antoine prend un café avec Manu, lorsqu’il lui demande s'il n'a jamais pensé à changé de métier, à quitter son patron. Tout au long du film on voit en effet ce malheureux Manu rôder derrière Jean (le libraire-éditeur d’Antoine) comme un homme à tout faire, et je me suis demandé à plusieurs reprises pourquoi le réalisateur insistait parfois autant sur ce personnage, nous le montrant l'oreille qui traîne en arrière-plan — je m'attendais d’ailleurs à un "fusil de Tchekhov", l'imaginant avoir un rôle déterminant dans le déroulement de l'intrigue.


Manu avouera simplement à Antoine avoir tenté de repartir mais avoir été rattrapé par Jean, ce dernier lui ayant fait comprendre qu'il était indispensable mais qui le traite au quotidien comme un moins-que-rien. On comprend avec cette scène toute la sensibilité du pauvre Manu, mais surtout la véritable nature de Jean qui aime manipuler les autres — comme il le fait avec le projet de journal d’Antoine — et désire conserver emprise sur leur destinée. C'est justement à ce moment-là que l’intrigue bascule et que Jean révèle sa perversité profonde en contactant directement Catherine…


Je regrette d'être passé si longtemps à côté de ce film "discret", imparfait mais si touchant.

quentinvijoux
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le 25 nov. 2020

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Quentin Bijoux

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