En se lançant dans l’adaptation de La Douleur de Marguerite Duras (1985), Emmanuel Finkiel ne s’est pas donné le plus simple des défis. L’écriture si singulière de Duras, la poésie de sa langue n’est pas des plus évidentes à retranscrire. Dans ce roman entre fiction et auto-biographie, composé de plusieurs histoires et dont la source est un journal de notes qu’elle a tenu durant la Seconde Guerre Mondiale, elle relate notamment de l’absence de son mari déporté Robert Antelme, de sa vie à Paris durant l’Occupation ainsi que celle d’autres familles amputées, et de sa relation ambiguë avec un français travaillant à la Gestapo, de qui elle obtient des informations sur la condition de son époux. Ces épisodes, ce sont ceux choisis par Finkiel comme trame de son film.
Alors que le pari était plutôt risqué, il me semble que le cinéaste ne s’en est pas si mal tiré. Le choix de la comédienne Mélanie Thierry est judicieux ; dans sa sobriété, elle laisse entrevoir les failles du personnage. Le choix d’utiliser assez fréquemment la voix-off pour laisser une place au récit de Duras accorde un espace important (et nécessaire) à sa littérarité, plein de beauté. C’est aussi le vecteur d’une certaine intimité. On est proche de Marguerite, de sa solitude, et avons alors accès à son intériorité. Cette sensation est renforcée par des moments où s’entrelacent la réalité, le présent, et des rêves, souvenirs, fantasmes…
Le plus frappant dans cette matérialisation des pensées de l’écrivaine est sans aucun doute la présence physique de son double. Ainsi, à certains moments, deux Marguerite apparaissent à l’écran, agissant différemment l’une de l’autre. Cette image de dédoublement est intéressante par rapport au reste du film, puisque la thématique de la duplicité en est une des principales : entre l’agent de la Gestapo et Duras, qui se sert le plus l’autre ? Quelle limite à la manipulation ? À quel point la perte de l’être aimé nous fragmente-t-il ?
Le travail sur la perception est assez riche et prend une dimension très immersive avec le son et un jeu sur le(s) reflet(s), la profondeur de champ et le flou. C’est là ce qui m’a le plus charmée dans la réalisation ; des instants où nos repères sont brouillés, où l’on assume le vide et le confus. Où l’on sent des choses, sans vraiment pouvoir définir lesquelles. Comme lorsqu’on se retrouve au bord du sommeil. À la limite de la conscience. Une sensation de vertige. Mais pas brutale, non ; progressive.
Et puis tout d’un coup, le sol redevient stable. Le regard parvient à attraper des formes et à les reconnaître. Après la chute, retrouver l’équilibre, et le savourer. À l’image de la dernière séquence du film, pleine de lumière et de douceur ; après l’incertitude, la plénitude.