La France en face
7.1
La France en face

Documentaire de Jean-Robert Viallet (2013)

La vraie insécurité, c'est la privation d'emploi

A l'heure où l'OCDE nous préconise gracieusement de niveler les salaires vers le bas, de requalifier les travailleurs français et d'être plus concurrentiel encore, je regarde par hasard et dans la nuit un documentaire suscitant mon intérêt.


Très vite, mon ressenti arrive. Il est sans appel.


"La France en face" est le documentaire-type qui passe son temps et son énergie à constater les changements sensibles et manifestes perçus dans la classe laborieuse et populaire, avec ses différents visages, avec ses désillusions, sa résignation, son inconscience d'appartenir à une même classe.
Viallet nous donne des clés de compréhension de ce qui s'est passé dans la politique de l'urbanisme, dans la relégation des classes populaires à la marge des métropoles. C'est essentiel, c'est certain, mais est-ce que c'est suffisant ?


Lorsque le documentaire dépasse ses intentions de constat pour offrir des clés d'avenir, pour aller au-delà, pour observer ce qu'il faudrait faire, il nous parle de la mondialisation et de la progression du FN. Prétextant de faire dans la compréhension, il montre surtout que le FN représente la classe ouvrière, que la mondialisation est un problème, sans évoquer un seul instant que ce qui a constitué les luttes unificatrices de la population active dans le temps ce sont les luttes qui ont rejeté l'idée nationale, en menant des luttes massives de terrain avec des revendications portant sur les besoins élémentaires.
Dans ce documentaires, pas un mot sur le capitalisme. Pas un ! Comment peut-on faire décemment un docu-constat sur cette "France d'en face" sur la classe des "invisibles", des petits et des relégués en évoquant jamais la logique historique du capitalisme ? Cela paraît invraisemblable.
Mais en même temps, ce n'est pas étonnant car dans quel cadre s'effectue ce documentaire ? Le titre l'indique : on parle de la France, de la sociologie et de l'économie dans le cadre de la France. Quelle perversité !


Avec un cadre aussi fallacieux et faussement identitaire - puisque c'est la question des frontières qui unifie le propos de Viallet - il paraît sans but et sans objectif de parler des classes populaires sans regarder la superstructure capitaliste dans laquelle les familles ouvrières évoluent. C'est le documentaire-type qui va nous présenter, par exemple, les AMAP comme un moyen positif de sortir de la logique de paupérisation. Les AMAP, c'est quoi ? Ce sont des circuits courts de production passant du producteur au consommateur. Autrement dit, de mon point de vue, un projet réactionnaire* marginal et qui ne contourne nullement le capitalisme mais s'y intègre parfaitement et, en prime, un projet qui s'intègre parfaitement à la question des frontières.


Ce que je reproche à l'AMAP, ce n'est pas tant sa marginalité exemplaire, c'est qu'il est impossible que chaque travailleur puisse accéder aux besoins bienfaiteurs des paniers. Pourquoi cette expérience ne peut pas s'étendre ?


1° Aurez-vous remarqué que les petites exploitations ont été éradiquées ? Le nombre de petits producteurs et leur productivité étant bien trop faibles pour en accueillir plus. Et pour cause, il est quasiment impossible que ces petits producteurs agrandissent le nombre des exploitations puisque ce serait faire la guerre aux propriétaires industriels !


2° Le volume produit n'y suffirait pas ; nos structures économiques n'y suffiraient tout simplement pas. J'ai appris qu'une AMAP en région parisienne ne délivrait pas plus de trente paniers ! Et il y aura, face à cela, toujours des crédules et des dupes, pour défendre ce genre de projet sous prétexte que "c'est mieux que rien". Le moindre que l'on puisse dire c'est que trente paniers en région parisienne, c'est la politique du "moins pire", du "on fait de son mieux". Il y a 12 millions d’habitants en région parisienne. Sans compter que ce sont toujours les mêmes consommateurs qui se nourrissent bien - bref... Moi, je n'y vois pas une solution pour moi, pour tous.


Derrière la beauté des légumes et la prétendue humanité des vendeurs, je suis en colère. Cela me met en colère car c'est insuffisant, mais surtout les agriculteurs, bien contents de voir sur pied un tel circuit, ne voit pas que les AMAP sont des îlots d'illusions, des mirages d'oasis.


*Je veux revenir en note sur le caractère fondamentalement réactionnaire, illusoire et réformiste des circuits courts. J'ai dit précédemment en quoi les AMAP étaient une illusion. J'ajoute juste que la qualité marginale des AMAP entrave le changement de mentalité des consommateurs, un thème si cher aux décroissants. J'ai dit aussi que les AMAP étaient réformistes du fait que ce n'est pas un coup d'épingle dans l'os du capitalisme mais bien un marché qui s'ajoute et s'arrange du capital tel qu'il est. Mais pourquoi réactionnaire ?
Je dis réactionnaire parce que ces méthodes servent la soupe à certains courants de pensée qui ont le vent en poupe en ce moment, quand les crises capitalistes font rage. Ces courants de pensée qui veulent revenir à des circuits courts, à un repli protectionniste sans voir un seul instant que ce serait une société qui encouragerait encore plus les inégalités entre régions. Et oui, les circuit-court des hauts-de-seine, ce ne sont pas ceux du Pas-de-Calais !... Et moi, j'ai pas tellement envie de manger des chicons et de la betterave toute l'année, ni que mon environnement soit isolé des autres travailleurs dans les autres pays. J'ai envie de la production de ces travailleurs lointains.


Alors pour en revenir au documentaire, laisser parler le militant FN en étant condescendant avec un autre mais sans critiquer les AMAP, de ces choses qui font même la désespérance et qui fabriquent des travailleurs en colère mais passifs, cela paraît complètement illogique ou alors profondément naïf. Ce documentaire ne dit pas que ce sont justement les partis réformistes, couchés devant les capitalistes, qui causent la désespérance et le repli. Que la conscience de classe ait régressé au point qu'on ne parle plus que de classes moyennes, au point que les socialistes et syndicalistes ne déguisent plus leurs discours lénifiants de préoccupations socialistes ou communistes, ne date pas d'hier. C'est un rapport de force qui s'est installé depuis de nombreuses décennies. En revanche, percevoir dans le FN un ennemi spécifique à abattre, c'est justement mal percevoir ceux qui agitent les idées de ce parti pro-capitaliste, réformiste et antiouvrier dans les consciences.
Et puis... si j'insiste autant sur les circuits-courts (qui n'apparaissent pourtant pas plus de deux minutes dans le documentaire), c'est parce que ce passage nous sert un mensonge sur un plateau doré, un reflet fataliste, incapable de surpasser l'idée de la résignation, incapable de voir ailleurs ce qui se passe dans d'autres pays.


Hé bien, je le dis : il est vraiment temps de se dire à soi-même que peu importe la manière dont on le tord ce fameux capitalisme que certains réformistes pseudo-révolutionnaires de droite ou de gauche veulent sauver à tout prix, peu importe la forme qu'il prend, sa logique nécessite un chemin sans appel dans notre revendication de l'expropriation de la bourgeoisie.
Et j'imagine alors un documentaire qui partirait avec cet objectif ou, mieux encore, sur cette base. Mais devinez quoi ? Cela n'existe pas. Et s'il existe, il restera confidentiel. Il sera toujours mieux vu de parler de la mondialisation et de la France que du patronat... français ou non.

Andy-Capet
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le 15 nov. 2013

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