J'ai bien aimé sans tout bien comprendre...

Je ne fais que transférer ici le texte que j'ai trouvé sur le site de Libération et qui contient des éléments que j'ai trouvés intéressants (car je n'ai pas saisi toutes les motivations des personnages)



par Philippe Garnier

publié dans Libération le 26 août 2005 à 3h25

Los Angeles, de notre correspondant :


Toute la choquante séquence finale de Night Moves (la Fugue) ­ généralement considéré comme un film clé des sombres années qui commencent avec Nixon ­ prend place sur un bateau à moteur, dans le golfe du Mexique en Floride. Mais si le personnage principal s'appelle Harry, et si l'histoire fait des appels du pied à la fin de To Have and Have Not d'Howard Hawks, la comparaison s'arrête là. Le seul nom du rafiot, le Point of View, suggère que Night Moves, réalisé par Arthur Penn et sorti en salles en 1975, est autant un film d'écrivain que de cinéaste. Ou plus.

L'époque était à la métalittérature, au métacinéma : on visitait beaucoup les plateaux de cinéma dans les romans (chez Didion, Wurlitzer, Stone). Ici, l'ancien professionnel de foot devenu détective (Gene Hackman) doit retrouver la jeune fugueuse Delly, qui passe d'un cascadeur à l'autre pour régler ses comptes avec sa mère, une ancienne actrice Universal sans talent. Mais Night Moves, d'une façon suggérée par une scène où Moseby montre à Paula (Jennifer Warren) une manoeuvre d'échecs avec des cavaliers («knight moves»), est surtout l'histoire d'un privé qui trébuche sur la vérité plus qu'il ne la déduit, et qui, ce faisant, découvre plus de choses sur sa vie à lui que sur celle de ses clients. Métaphysique en diable, donc, sous couvert de polar.

Grosse déception. On sera surpris de lire ce que pense du film son créateur Alan Sharp, mais cette sévérité explique en partie les moments où les scènes ne passent pas aussi bien qu'elles le devraient. Sharp est un drôle d'oiseau, un romancier écossais qui, au début des années 70, s'est mis à écrire des scénarios dérivatifs pour Hollywood, avec un succès dont il a été le premier surpris (Billy Two-Hat, l'Homme sans frontière, The Last Run, Fureur apache) ­ des films qui l'ont conduit à travailler avec Nicholson, Rafelson, Aldrich, Lancaster, Peckinpah et autres. Mais Night Moves était selon lui le meilleur scénario qu'il eût écrit durant cette période : le plus noir et le plus ambitieux. Le film est aussi sa plus grosse déception professionnelle.

Provocant. «On dit Night Moves méconnu mais au contraire à mon avis. Il a trouvé son public, qui prend généreusement le film pour ce qu'il est : provocant, bien fait, superbement interprété, avec plein de choses qui ne marchent pas dedans. Comme si les gens voyaient en filigrane ce qu'on aurait pu ou dû faire avec. Et pour une fois, cet échec artistique est entièrement de notre faute ; pas moyen de rejeter le blâme sur le producteur, le distributeur ou le public. Tout le monde se battait pour être dans le film, tout le monde était motivé.» James Woods en mécano, Melanie Griffith dans la fleur de ses 15 ans, derrière un fil à linge comme dans Et Dieu créa la femme...

«J'ai eu la chance de réécrire avec Arthur Penn pendant six mois. Je me disais qu'une histoire aussi en résonance avec le pays serait pour lui plaire. Mais à ce stade, Arthur avait besoin d'un succès commercial. Mon script était tout ce qu'il avait sous la main et ne s'y prêtait guère, parce qu'il était encore plus noir et radicalement déprimant que ce qu'on a fait au final.»

Penn était trop artiste pour prendre les rênes et faire son film à lui. Chose que, comiquement, Sharp ira jusqu'à lui reprocher. «Je ne l'ai jamais affronté là-dessus. Arthur est trop sympa pour ça. Lui, ce qui l'intéressait, c'était le couple Moseby et sa femme (Susan Clark) ­ pour des raisons personnelles, je crois : il était en instance de divorce. Alors que moi, je faisais tout tourner autour de Paula, un genre de femme à la Claire Trevor ou Ida Lupino. L'ennui, c'est qu'Arthur était trop fin pour ne pas reconnaître que Paula était le personnage intéressant. Mais il n'a pas eu assez d'estomac pour virer Paula et faire le film qu'il voulait faire, on l'a juste gommée, sans avoir rien d'autre à la place.»

Le centre du film est une longue scène de séduction, à la fois frappante et bancale. «On n'en voit qu'une fraction. C'était un long soliloque sur les Kennedy et tout ça, comment le pays avait perdu la foi en lui-même. Cette séquence était le coeur du film, elle donnait le ton. Et Arthur l'a tournée, en Floride, un morceau de bravoure ; Jennifer Warren y est magnifique. Mais il l'a enlevée au montage, sur les conseils de ses potes, Beatty, Nicholson et Rafelson, qui lui disaient qu'il allait au casse-pipe avec une scène aussi limite.»

Scènes d'action impressionnantes. «Elle l'était, limite, mais elle faisait le film. Arthur s'est dégonflé. Jamais Aldrich n'aurait fait ça, changer quelque chose pour rendre le film plus commercial. Pourtant, entre Bob Aldrich et Arthur Penn, lequel est considéré comme artiste ? Pas Bob, qui était plus producteur que cinéaste. Mais lui aurait suivi son instinct. Bob n'aurait pas cédé.»

A revoyure pourtant (Warner vient de sortir le DVD), le travail d'Arthur Penn sur les scènes d'action reste impressionnant. Et Gene Hackman enlève finalement le morceau. Les réserves d'Alan Sharp sont donc, comme il l'avait écrit sur le bateau, une question de point de vue.


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le 2 janv. 2023

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