La Grande Extase du Sculpteur sur bois Steiner est un concentré de l'oeuvre d'Herzog. Toujours dans sa recherche d'aventures sensationnelles, Herzog suit avec une excitation non dissimulée de journaliste amateur Walter Steiner, champion de saut à skis et sculpteur sur bois à ses heures perdues. Il fait un film sur un homme qui, justement, teste ses limites, ou plutôt teste LA limite, à savoir le record du monde de saut à skis, comme le faisait Herzog sur les pentes de la soufrière à la veille d'une éruption, ou dans le désert africain dans Fata Morgana. Mais contrairement à l'aventurier (à la limite du ridicule) Herzog, Steiner est condamné contre son gré à repousser cette limite, y allant à reculons contre la volonté du public et des organisateurs. Il est à l'opposé du héros herzogien, paradigme du monde occidental en recherche permanente d'expansion, à l'image d'Aguirre ou Fitzcarraldo.
Steiner, c'est la fragilité, la fébrilité de la mégalomanie occidentale. Jamais vraiment sûr de lui, toujours "en respect" de la piste, Steiner est non pas un héros sans faille, mais un petit artisan, ponçant ses skis comme il taille ses figurines en bois. Au fond, Steiner, réunion du sportif de haut niveau et du petit artisan, est comme Bruno ou Kinski, c'est un marginal. Une anomalie qui, toujours chez Herzog, représente l'essence même de l'humanité. Car, comme n'importe qui, il redoute cette marginalisation puisqu'elle lui donne provisoirement (comme star) autant qu'elle lui coûte, à lui l'homme qui fuit la célébrité et tente de conserver un semblant de vie normale. Et Steiner redoute le jour où, comme le petit corbeau de son enfance, il ne pourra plus voler.