La première fois que je vais voir un film tout juste sorti au cinéma, alors j'ai voulu marquer un peu le coup, avec un réalisateur que j'adore habituellement, Herzog. Puis en plus de la 3D, ma première fois aussi. Et si quelqu'un était bien capable de me faire apprécier la 3D c'était bien Herzog. Alors qu'en est-il ?

La Grotte des Rêves Perdus (le titre est un peu bateau, je l'oublie tout le temps) est au final une bonne surprise. Bonne pour plusieurs raisons, même si on commencera par lui reconnaitre quelques points faibles :
Herzog est pour moi avant tout un cinéaste des grands espaces. On pense directement à Aguirre, FItzcarraldo, mais aussi à ses splendides documentaires comme Fata Morgana, Leçons de Ténèbres... Il a un quelque chose d'absolument unique pour capter la magie des vastes scènes en extérieur, qui à chaque fois surprend et émeut paradoxalement invariablement. Alors ici forcément c'est délicat, on passe le plus clair du temps dans une grotte obscure, bouchée, endroit par définition clot, espace restreint. Alors ne soyons pas trop sévere, Herzog s'en tire honorablement, livrant une photographie toujours de qualité, travaillée, mais qui n'arrive (presque) jamais à atteindre les sommets atteints auparavant. Les moments ou l'on sort de la grotte, on l'on aperçoit le paysage environnant sont d'ailleurs d'autant plus forts, de bonnes bouffées d'air frais, avec un paysage magnifique.

Normal en même temps, c'est l'Ardeche ! Et oui, la dessus impossible d'etre objectif quand le sujet du film se passe à quelques dizaines de kilometres de la ou j'ai grandi, cepandant nul ne saurait dire du mal de ces montagnes, de ces falaises, de ces forets, qui enchantent, et Herzog ne manque pas de se donner à fond lors de ces moments.

Dans les thèmes favoris de Herzog, on retrouve aussi dans une moindre mesure la folie, ou plutôt l'exentricité, plus sous-jacente ici mais largement présente. On est loin du personnage de Woyzeck, mais il est bien délicat de ne pas faire l'analogie entre l'adorable exentrique adorateur des grizzly de Grizzly Man et l'archéologue habillé façon -30000's, tout en fourrure, afin de mieux comprendre la façon de vivre de nos ancetres. Il y a dans ce film un climat de fascination venant de tout ces passionnés d'archéologie qui se rapproche de la folie ambigue adorée d'Herzog, et qui faisait de cette caverne ardéchoise un sujet prédestiné pour ce cinéaste.

Un petit mot sur ce que le docu nous apprend (m'a appris) de très interessant. Déja pour l'apprenti musicologue que je suis, le fait que des flutes aient été retrouvées il y a environ 40000 ans. Des flutes construites sur l'échelle pentatonique (gamme à 5 tons). Voila une révélation bien surprenante, si l'on sait que la gamme, occidentale, telle qu'on la connait aujourd'hui, celle qui "sonne bien" a été initialement inventée par Pythagore (pas SI vieux), puis normalisée par Bach (gamme tempérée). Le fanatique nous joue alors l'hymne américain sur une flute vieille de plusieurs dizaines de milliers d'années, voila qui fut pour moi le plus grand choc de cette heure et demie. Je ne m'explique toujours pas le pourquoi de la chose, cet anachronisme monstrueux qui finalement n'en est pas un...
Le second choc monumental fut bien sur la peinture en elle même. Ces peintures ont ceci de sensationnel qu'elles représentent déja la décomposition du mouvement. Révisez votre histoire de l'Art, la décomposition du mouvement telle qu'on y assiste (à peine) primitivement dans ces peintures rupestres a été mise en place avec le mouvement futuriste si je ne m'abuse, dans les années... 1920. Cette "science" picturale a été completement oubliée durant des dizaines de milliers d'années, encore.
En ce qui concerne la musique en elle même, son utilisation est habituelle à Herzog : de grands moments de musique classique, qui soulignent bien la beauté de la chose, même si encore une fois le résultat est quelque peu décevant par rapport à ce à quoi il nous a habitué. Pas de moments d'Illumination ici, en tout cas pas qui m'aient touché suffisament.

Côté références, l'amateur d'Arts y trouvera son bonheur, et Herzog se lache, Wagner, les Romantiques, les civilisations du monde y passent, même Fred Astaire (brillament d'ailleurs pour ce dernier), on a droit à un documentaire riche, appuyé, bien construit. D'ailleurs encore un theme récurrent à ce cinéaste définitivement complexe, le lien étroit qu'il construit toujours entre fiction et réalité/documentaire. On a ainsi une oeuvre documentaire à deux niveaux de lecture. Le public en était d'ailleurs la preuve, seul "jeune", il y avait aussi un gamin, venu apprécier l'aspect purement visuel et ludique de l'oeuvre, puis le reste de l'assemblé était constitué d'une moyenne d'age tournant autour de 45 ans. Le film est en effet riche, et assez profond. Herzog creuse le pur documentaire en y incorporant de la fiction qui se manifeste au moyen de réflexions, de questionnements interessants, sur des sujets qu'il aime, comme la nature humaine, l'âme, la communication, la soif de connaissance...

Et pour finir on mentionnera un "Postscript" assez surprenant, pour le moins remarquable, sur (encore une chose à coté de laquelle j'ai grandi) la très célébre (par chez nous en tout cas) ferme aux crocodiles de Pierrelate, et les centrales nucléaires du bord du Rhone qui permettent à cette dernière de prospérer. Pas de manifeste écolo lourdingue ici, juste une pure Herzogerie, avec une surprise que je ne vous dévoilerez pas, pour ne pas gacher le plaisir, mais j'ai trouvé les questions posées très pertinentes, et la façon dont elles l'étaient encore plus (bon n'attendez pas le déluge sous peine d'etre un tazntinet déçu, mais...)

Voila, je recommande ce dernier Herzog qui promet un moment agréable, enrichissant, familial pourquoi pas, mais un plaisir solitaire aussi.
Adobtard
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le 31 août 2011

Modifiée

le 22 sept. 2012

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Adobtard

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