Comment repère-t-on le génie d'un artiste ? A beaucoup de choses sans doute, et un grand nombre d'entre elles sont indicibles, mais parmi elles il y en a une qui saute aux yeux quand on se trouve devant un film comme celui-là : c'est la capacité à surprendre. Pour qui ne connaît Oliveira que d'un oeil, il s'agit d'un cinéaste austère et de bon goût, à la mise en scène figée, aux ambiances surannées. Il y a une part de vérité dans tout cela bien entendu mais il y a aussi et toujours - et c'est là ce qui est si précieux dans son cinéma - une part d'incongru dans ses films, quelque chose qui confine presque à la vulgarité et qui les rend à la fois plus proches de nous et plus troublants.
A propos de La Lettre, je pense au personnage de Pedro Abrunhosa - interprété par lui-même, à savoir un chanteur de variété portugaise à la dégaine improbable. C'était le duc de Nemours dans le roman de Mme de la Fayette, celui pour qui le cœur de la princesse de Clèves brûlait d'un amour interdit ; chez Oliveira c'est un genre de Pascal Obispo lusitanien (avec des textes plus intéressants tout de même, à en juger par ce qu'il nous est donné d'entendre dans le film), et le contraste est spectaculaire avec la noble et douce Mastroianni. Ce sont deux mondes qui se télescopent, et c'est d'autant plus fort que les deux personnages n'échangent quasiment aucun mot de tout le film. L'on sent très vite que ces deux mondes ne pourront jamais se rejoindre, que l'abîme est trop grand entre eux deux, mais c'est précisément pour cela que la passion qu'ils éprouvent l'un pour l'autre est si palpable, sans qu'elle soit montrée dans des effusions (mis à part peut-être dans le concert final du chanteur).
Et puis je me demande parfois quel est mon cinéaste favori, et en tant qu'étudiant en cinéma on me le demande parfois. Je suis toujours un peu embêté pour répondre, car à chaque nom qui me vient je me dis "est-ce que je voudrais que le cinéma se réduise à son oeuvre ? est-ce que j'aimerais que tous les films soient comme les siens ?". Je pense que ça m'irait si tous les films étaient comme ceux d'Oliveira - en comptant les jolies femmes.