La Loi, c'est la loi ou comment user d'une maxime pour mieux la déconstruire, la tourner en ridicule, en un mot, la blâmer.


Une belle fantaisie sur les thèmes de la nationalité et des frontières aux délicieux accents kafkaïens.
Fernand, un douanier découvre un jour qu'étant né dans la cuisine d'une auberge du côté italien de la frontière, il n'est pas français mais italien. Dès ce moment, la machine infernale juridique se déchaîne en tous sens, métamorphosant le pauvre bougre au gré de ses petites lignes et de sa jurisprudence. A y perdre son latin !


La Loi, c'est la loi montre le ridicule juridique et questionne assez habilement la notion de nationalité.
Est-on d'une nationalité par le sol: le sol du film est si changeant qu'il change le personnage de Fernandel en français, en italien puis en apatride, puis de nouveau en français, sans cesse !
Est-on d'une nationalité par le sang: la mère qui, d'après la Loi, est toujours sûre (Mater semper certa est, car, oui, la Loi est très latine bien que ce soit bien souvent de l'hébreu ou du chinois sauf pour les hébreux et les chinois) est italienne et le père inconnu. Quand on voit comme le fils de Fernand obtient le statut de père inconnu, on peut assez gager de ce qui a fait du personnage de Fernandel un fils de père inconnu.
N'est-on pas finalement d'une nationalité de par sa langue et sa culture ? Le film ne le dit pas, laisse l'avis au spectateur et préfère souligner l'avis alcoolisé que, suivant que l'on soit du côté d'une frontière ou d'une autre, on est un français ou on est un salaud, on est vaillant soldat ou on est déserteur, on est monogame ou on est bigame, on est bien né ou on est mal né. Comme le dit le personnage de Toto: "une frontière, c'est sacré !"
Bannir une frontière est aussi idiot que de la poser pour distinguer les bons et les mauvais: il n' y a que de des humains de langues et culture diverses qui s'enrichissent les uns les autres, ambassadeurs et bons amis. Comme les couleurs de l'habit d'Arlequin se côtoient et se complètent et non comme la superposition des couleurs donnent le noir, trop plein de couleur qui nie la notion de couleur elle-même. L'altérité, c'est l'altérité devrait-on plutôt dire, au lieu la Loi, c'est la loi: pourquoi être italien et non français semble tant être un drame au personnage de Fernandel et pourquoi les frontières sont sacrées au personnage de Toto, que leur inexistence arrangerait tant ? Parce que chaque culture est altérité et parce que chaque altérité en restant autre influence en bien une autre. "Il faut , n'est-ce pas, être arrivé à un point de perfection rare, pour croire que l'on ne peut changer qu'en mal", écrivait Gide dans De l'influence en littérature, article où il note la richesse de chaque nationalité. Mais pour que cela soit, il faut que chaque altérité reste altérité pour donner l'exemple et l'influence de son altérité sur une autre: c'est l'uniformisation culturelle et le bannissement des frontières qui fait tord au réel vivre ensemble. Une comédie née en 1958 mais d'une incroyable actualité !


Ce que démontre d'ailleurs admirablement ce film lui-même, donnant une nouvelle fois raison à Mac-Luhan: "The medium is the message".
Car voilà un beau film français avec ses vedettes françaises, Fernandel (La Vache et le prisonnier) et Noël Roquevert (Les Barbouzes), enrichi par les prestations d'acteur de Toto, célèbre comique napolitain, et de compositeur de Nino Rota, que l'on connaît pour ses partitions pour Le Parrain ou pour le Roméo et Juliette de Zeffirelli et réalisé pour Christian-Jaque, qui est un peu le Ken Annakin français, à qui l'on doit notamment Guerre secrète, un film international, et la série des Don Camillo, belles autres collaborations avec l'Italie !
La Loi, c'est la loi, c'est un peu une parodie du Procès de Kafka qui sourit avec les grandes dents de Fernandel. Et c'est l'occasion d'une rencontre au sommet du rire entre Fernandel et Toto, eux monstres du rire des deux côtés de la frontière.
Presque une comédie de caractère moliéresque qu'on pourrait intituler Le Douanier apatride, une admirable fable dans le style de La Fontaine, jusque dans son dénouement qui n'est pas sans faire songer à celle de l'Ivrogne et sa femme


"Chacun a son défaut où toujours il revient
Honte ni peur n'y remédie."


Car "Oui, je sais, je sais ! Mais la Loi, c'est la loi !


Alors, me direz-vous, pourquoi visionner ce film ?
C'est pourtant simple ! C'est la Loi ! Et la Loi, c'est la loi !

Frenhofer
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le 25 oct. 2018

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Frenhofer

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