La Mère
7.8
La Mère

Film de Mikio Naruse (1952)

Il semblerait décidemment, et malgré la nature souvent douce amère des sujets ou thématiques abordés, que le cinéma japonais issu de la première moitié du XX° siècle recèle son lot d’enchantements et de surprises.

Je ne connaissais pas Naruse autrement que de nom, et très vite, étrangement, un certain parfum de familiarité s’est fait sentir dès les premières séquences de Okaasan.

C’est sans doute cette douceur de vivre, cette intemporalité magique, cette peinture de quartier populaire vivant, habité, et ponctué de gestes du quotidien, du labeur et de l’oisiveté, que j’ai déjà tant apprécié chez Yamanaka.

Oui, Okaasan est un film grave dans le fond, traitant de la maladie, de la mort, de la vieillesse, du temps qui passe, du deuil, de la séparation et de la pauvreté ; mais jamais la gravité des événements ne prendra le pas sur la continuité de l’existence. De façon typiquement japonaise, chaque épreuve —et douleur associée— se verront sitôt étouffées par une façade faite de labeur et de résiliation. Il en ressort une impression d’anesthésie dramatique remarquable, qui paradoxalement et grâce à l’exploration de plusieures nuances de la palette d’émotions humaines, fait tout de même de Okaasan un film à la puissance émotionnelle incontestable.

Plutôt que de montrer une mère déchirée suite à la perte de son fils, Naruse préfèrera éclipser processions funèbres et autres pleurnicheries en montrant un personnage féminin toujours aussi dévouée au reste des siens, courageuse et constante. Aux plans bateaux de la veuve éplorée devant le portrait de son défunt mari, Naruse saura au préalable jouer la note adéquate, celle de la nostalgie et du regard tendre sur la jeunesse du couple pour atteindre le spectateur, et pourra ainsi se permettre de ne pas montrer le deuil directement —ou disons plutôt dans son aspect le plus évident— sans pour autant en perdre son pouvoir évocateur et dramatique.

Plus qu’un portrait de mère, Okaasan est aussi un portrait de femme ; de la femme japonaise. Il bâtit ainsi une vision de la femme pas si éloignée de la réalité : véritable pilier du foyer —voire de la société, faisant preuve de dévouement, d’abnégation, de don de soi, de courage, de tendresse, et de patience infinie. La femme/la mère comme lueur, unique repère, identité familiale et culturelle, force et refuge. On peut aussi penser, pour un film d’après guerre, à un hommage envers les femmes qui ont nourri le pays, élevé les enfants et pris soin des ancêtres tandis que fils et maris tombaient au nom de l’empereur.

M’enfin là, c’est mon interprétation personnelle.

Pour être honnête, alors que je n’étais pas particulièrement enclin à vouer toute ma sympathie au personnage de la mère (trop évident), j’ai été totalement conquis par l’interprétation de Kinuyo Tanaka. La grande bienveillance et la douceur qui émane d’elle, ainsi que l’écriture de son personnage m’ont touché ; qualités ressortant d’ailleurs par contraste avec l’intransigeance et l’égoïsme de ses mioches, véritables têtes à claques ambulantes.

(Chako, si tu nous regarde...)

Autant vous dire qu’à part les deux merdeuses qui lui servent de filles (et le poireau bouilli de fils heureusement vite décimé), la plupart des personnages suscitent la sympathie ; que ce soit le père amateur de haricots grillés, l’oncle prisonnier plein de bonhommie, le petit Tetsu, et même l’autre bellâtre de boulanger dont le romantisme gauche et les talents de chanteur m’ont fait décrocher quelques sourires.

Voilà donc une pellicule parsemée de choses simples mais belles et touchantes ; des tranches de vies comme seuls les japonais semblent pouvoir nous les servir, agrémentées de jolis moments, de motifs étranges, de festivals et de saisons. Un cycle doux amer tout en pudeur, à la sensibilité juste.


P.S: Merci à @RKM pour la découverte

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le 22 nov. 2012

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real_folk_blues

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