On passe un bon moment avec "La Mort de Staline" ! Et ce n'est pas le moindre de ses mérites que de mettre l'accent sur les aspects les plus tragiques du régime stalinien.


Mais quand je lis dans la presse que le film est bien documenté et qu'il est fondé sur la vérité (ou presque...), je me dis qu'on pourrait jouer à corriger toutes les erreurs historiques (inévitables pour ce qui ne prétend pas à être autre chose qu'une oeuvre de fiction).
1. La première concerne la police politique. Le scénariste a pu se dire, que le KGB apparaissant après la mort de Staline, il était plus simple de reprendre le nom du NKVD (qui sonne bien), car personne ne connaît celui de MGB (MGB - МГБ est l'acronyme de Ministère à la sécurité gouvernementale), le véritable nom porté par la police politique de 1946 à 1954. Ce Ministère se différencie à cette époque de celui de l'Intérieur (MVD).


En effet, il faut rappeler que le NKVD est un acronyme pour "Commissariat du Peuple aux affaires intérieures" (en résumé le Ministère de l'Intérieur) et non, la police politique de l'URSS.


Petit rappel :
Au début c'est relativement simple... On a d'abord la Tchéka, dès 1917 (forme abrégée d'un acronyme signifiant : "Commission extraordinaire panrusse pour la répression de la contre-révolution et du sabotage auprès du Conseil des commissaires du peuple de la RSFSR"), qui devient la/le Guépéou puis l'OGPU ("Direction politique unie d’État auprès du Conseil des Commissaires du peuple de l'URSS") après la fondation de l'URSS (1922). Ce sont bien les organes de la police politique.


En 1934, la "Direction principale de la Sécurité d'Etat" (GUGB) est en fait intégrée au NKVD. Celui-ci regroupait donc les "forces publiques régulières de police de l'Union soviétique, comprenant notamment la police routière, la lutte anti-incendie, les gardes-frontières et les archives" (wikipedia), ainsi que le GUGB et le Goulag (encore un acronyme pour "Administration principal des camps"). Cumulant ainsi pouvoir de police et pouvoir judiciaire, le NKVD pouvait donc déporter par simple mesure administrative et était placé sous les ordres de Staline. C'est sans doute pour cela qu'on assimile très vite le Ministère de l'intérieur à ses "organes" !


La dernière tentative de fusionner la Sécurité d'Etat avec le Ministère de l'Intérieur (devenu MVD après la guerre où on oublie les commissariats du peuple pour revenir aux ministères), date de mars 1953 (c'est signé Béria).


Deuxième inversion : le mélange entre la Grande Terreur (1937-1938) pendant les purges des années trente d'une part, et la campagne antisémite de 1948 à 1953 contre les "cosmopolites sans racines" de l'autre.


La première fait deux millions de victimes avec plus de 725000 exécutions. La seconde est moins "sanglante", car le processus est interrompu après le décès de Staline (ce que montre le film, même si la chronologie est ramassée sur quelques jours au lieu de plusieurs semaines).


La campagne contre le cosmopolitisme débute avec la mort de l'acteur Solomon (Shlomo) Mikhoels en 1948 et se poursuit avec le procès de 1952 contre le Comité juif antifasciste (la plupart des membres sont alors exécutés). Elle atteint ce qui aurait du être son paroxysme avec "le complot des blouses blanches", annoncé par la "Pravda" en janvier 1953.


Malgré tout, il faut rappeler, qu'à la mort de Staline, 4% de la population de l'URSS est incarcérée, la majorité pour des vols de propriétés socialistes et des petits larcins (c'est la "Société des voleurs" apparaissant dans le livre de Juliette Cadiot et Marc Hélie , "Histoire du Goulag" (La Découverte, collection Repères). "Pour dépasser un tel niveau d'enfermement" a écrit Thomas Piketty récemment, "il faut considérer le cas de la population masculine" afro-américaine (5% est en prison aujourd'hui). Je cite ici ces propos dans le récent article du "Monde" sur « La Russie poutinienne se caractérise par une dérive kleptocratique sans limites ».


Cette campagne se traduit ainsi par de multiples arrestations qui touchent le milieu médical (des centaines de médecins, infirmiers, pharmaciens sont arrêtés...), avec des implications dans la Nomenklatura. Mais si deux médecins sont morts (sans doute pendant leur interrogatoire), il n'y a pas, dans ce cadre précis, d'exécutions sommaires massives comme dans les années trente.


Il fallait évidemment pousser la satire jusqu'au bout, mais pourquoi, alors que la bande dessinée n'occulte pas le caractère antisémite de cette campagne, l'omettre dans le film ?



  1. De la même façon, l'histoire de Malenkov qui veut poser pour la photo avec la petite fille qui avait été photographié avec Staline fait allusion à l'histoire, bien connue aujourd'hui, de Guélia Marzikova. Or, ce n'était pas une petite Russe blonde avec des nattes (cela dit beaucoup de choses sur notre imaginaire occidental et je me demande quand les nattes et les grands noeuds deviennent quasi obligatoires dans les écoles élémentaires soviétiques). Guélia était bouriato-mongole et avait des cheveux très noirs et une coupe au carré. Bien entendu, il existe d'autres "portraits" de Staline avec des enfants...


  2. L'histoire du concert réinterprété pour enregistrer un disque pour Staline semble vraie. Maria Youdina, la pianiste, était effectivement convertie à l'orthodoxie (née à Vitebsk de parents juifs) et opposée au régime. Cependant, c'est Staline lui-même qui lui aurait donné 20.000 roubles pour la remercier après avoir écouté le disque. Elle lui aurait alors répondu qu'elle les donnerait à son église pour prier pour l'âme du secrétaire général en raison des crimes qu'il avait commis. Cette histoire, qui apparaît dans les mémoires de Chostakovitch, n'entraine donc pas l'hémorragie cérébrale de Staline.



Mais, comme dans la bande dessinée, c'est évidemment un formidable début de narration de la mort de Staline...

Rlondon
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le 22 juil. 2018

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