Avez-vous jamais fait l'expérience de jouer au furieusement flippant Resident Evil seul dans le noir ? Et l'avez vous parcouru entre copain autour d'une bière, toute lumière allumée tel Versailles-sur-canapé ? Tel le grizzli des montagnes à monté sur un minivélo : c'est tout de suite moins effrayant. Aujourd'hui : de la façon de voir et revoir un monument d’horreur- science fiction, ou comment l'environnement de visionnage influe sur notre perception de films.



Le Bourdon



Seth Brundle (Jeff Goldblum, royal) est une sorte de génie, cochant l'intégralité de la check list du "gars-qui-sort-peu-dans-les-années-1980" : maladresse maladive, présence inconfortable, discussions limitées, tics de langages. Le jeune scientifique travaille en ermite sur l'invention du siècle : la téléportation. Il est suivi au quotidien par Veronika (Geena Davis), une journaliste qui deviendra rapidement sa petite amie. Suite a des essais peu fructueux et des fuites malencontreuses dans la presse, le couple se dispute au sujet d'un ancien amant plus qu'insistant (John Getz).


Un peu bougon et très bourré, Seth décide soudainement que tristesse et alcool sont les ingrédients qui lui manquaient pour avoir les bolox de tester lui même sa machine. Suite au succès de l'opération, le scientifique se sent renaître et pousser des ailes. Littéralement. En effet, en piètre entomologiste, le pauvre garçon comprend vite qu'un corps étranger s'est malicieusement glissé avec lui dans la cabine magique. Ce corps minuscule fera la différence, et la mouche trop aventureuse apprendra à ses dépends que la curiosité te transforme en un vilain défaut.



Blood Baron



Tournant dans la carrière du Roi de la Violence Vénérienne, la Mouche atteint le sommet d'un parcours jalonné par ses prémices. Après avoir exploré la relation complexe qu'entretiennent l'esprit et le corps dans Scanners, puis dépeint un portrait grotesque et boursouflé d'une société du tout visuel dans Videodrome, celui qu'on appelle "Dave Deprave" trouve un équilibre dément en 1986.


En explorant les limites de la psyché humaines face à la mutation corporelle, Cronemberg pousse le vice et rappelle que l'humain est insecte comme les autres. Preuve en est, Seth une fois libéré de ses inhibitions sociales, se comporte comme une bête cherchant à se nourrir puis fatalement à se reproduire. En tant qu' "homme nouveau", le scientifique perd les pédales et ses dents, et devient le sujet de sa propre expérience. Un expérience qui l'amènera à faire le deuil de sa condition et de son enveloppe charnelle, à travers les 5 phases bien connues.



My Body is a Cage



L'enveloppe corporelle n'est qu'une cage, dont la décrépitude est à relativiser. En montrant que le corps n'est qu'un réceptacle à l'âme, réelle essence du vivant, Cronemberg fait de Goldblum la chrysalide abritant sa créature.
Les compères Chris Walas et Stephan Dupuis disposent d'un arsenal de maquillage pour produire une métamorphose qui restera dans l'histoire du cinéma. Bubons, croûtes et autres joyeusetés verdâtres sont donc au rendez-vous des affreux pour nous montrer avec une précision quasi documentaire l'émergence de l' être étrange et nouveau qu'est le Brundle-Fly. En tournant avec très peu de budget, l'équipe redouble d’inventivité et d'astuces de mise en scène pour graver dans le fond de nos boites crâniennes des images fortes (Bundle marchant au plafond).


La véritable puissance dramatique réside dans l'acceptation de la transformation et l'embrassement du côté mouche de la force. Peu à peu, Seth se laisse envahir par cet instinct aveugle et primaire. Avant de perdre le contrôle, il cherche à comprendre ce qui lui arrive et en bon scientifique, il se filme pour la postérité, ce qui donne une des scènes les plus marquante lors de son "repas".


Saluons par ailleurs le flair sans pareil du producteur Mel Brook qui successivement fera confiance à Cronemberg et David Lynch, à qui il permettre de venir à bout d'Elefant Man, chef d'oeuvre dans le propos résonne avec l'insecte de tonton David.



Souviens toi, le songe d'une nuit d'été



De l'aveu de son auteur :



La Mouche étant un film d’horreur, personne n’a jamais remarqué à quel
point son intrigue était déprimante. Personne n’a remarqué qu’il
s’agissait en fait d’une sorte de petit opéra, ou d’une pièce dans un
seul décor.



Le film est bien une tragédie au sens le plus classique. La science fiction n'est qu'un support pour une réflexion sur l'impuissance de l'homme a freiner la déchéance de son corps, sur l'incompréhension et la fascination de sa propre transformation dont l'issue sera fatale. L'appartement-laboratoire devient la scène d'un huis clos d'un genre nouveau, sorte de cocon où la métamorphose s'opère. La fascination que Seth éprouve pour sa propre métamorphose nous renvoie directement à notre condition de spectateur. Pour les mêmes raisons qui poussent les automobilistes à ralentir à l'approche d'un accident, le dépérissement à cet effet délétère qu'il attire le regard et stimule une curiosité moribonde.


La tragédie théâtrale est soulignée par une bande originale subtile et serpentine, aussi vicieuse que la transformation du protagoniste principal. Howard Shore signe un chef d'oeuvre d'inspiration, dont les nappes discrètes sont relevées par des brusques montée angoissantes. Le film est d'ailleurs amorcé par une furieuse note dérangeante, annonciatrice du drame à venir.


Cronemberg, en témoin de son époque, réalise un film essentiel qui a laissé votre serviteur comme deux ronds de flanc, planté au fond de son fauteuil à se demander ce qu'il venait de voir et en quoi ce film changerait sa perception du cinéma dans le futur. Et c'est l'initiative d'un cinéclub brestois qui a fournit l'occasion en platine armée de revoir la Joconde de Cronemberg en condition salle et popcorn....



La Mouche qui Pète



La critique, jusqu'à maintenant, est en réalité le fruit de deux visionnages, à quelques années d'intervalle. Deux séances, pour deux expériences bien différentes.


Le premier visionnage de l'oeuvre fut organique. Un dépucelage esseulé, durant lequel l'écran délivra à pleine puissance la décharge psychologique et horrifique du long métrage. Happé par la dimension sociale et descriptive de la déchéance corporelle de Seth, il est impossible de ressortir indemne de ce voyage entre téléporteur. Pour le peu qu'on soit sensible au genre où aux questions que le Canadien soulève, La Mouche transperce son auditoire par son ambiance inquiétante, ses effets jusqu'au boutistes et son dénouement brutal.


Le deuxième visionnage fut une expérience intéressante d'une projection en public. La vague de plaisir passée, juste après les crédit, un premier doute émerge lorsqu'une timide onde de rire se propage dans l'assistance pendant que Seth drague involontairement Veronika. Admettons. Deuxième moment étrange lorsque Seth réitère l'expérience avec un babouin mais ne récupère à l'arrivée du processus qu'une abomination décharnée secouée par les nerfs : les rangs sont agités par une esclaffade. Troisième et ultime moment de perplexité lorsque Seth comprend qu'une métamorphose est à l'oeuvre et s'arrache, non sans fascination, un ongle entier : bidonnade générale. Le constat est clair : la foule a rit là où le cinéphile solitaire est resté muet.


De multiples questions ont alors émergé de cette expérience : existe-t-il un pan entier d'humour noir qui aurait échappé au premier visionnage ? Le rire est-il une manière d'exorciser une moment de malaise en se rassurant d'être parmi ses pairs ? Le public n'était pas composé d'amateur d'horreur et n'a pas été touché par le message de Cronemberg ? Le film est daté et à les effets spéciaux n'ont pas aussi bien vieillit que ce que l'on aimerait croire ?


Un peu de tout ça au final : il y a certes plusieurs niveau de lecture pour une oeuvre aussi monumentale. Que le réalisateur ai envisagé ou non des rires lors des projections, l’expérience ludique de tout média procède de mélanges, parfois hasardeux, d'audience, de perceptions, elles même issues d’expériences personnelles. Par dessus tout, le contexte semble avoir une importance capitale pour la réception des œuvres, en particulier d'horreur, qu'elles soient vidéo-ludiques ou cinématographiques. Les œuvres comme vecteurs véhiculant un message parfois à plusieurs facettes semble être un des points fondamental du langage de Cronemberg, pour autant qu'on puisse en juger.
Et dans ce cas de double visionnage, entre le point de départ (le message du film) et d'arrivée (le spectateur), sans doute qu'une mouche a pu se glissée...

AlainStarman
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 10 Films, Les meilleurs films de 1986, Les meilleurs films d'horreur et Les meilleurs films de science-fiction

Créée

le 26 mars 2016

Critique lue 330 fois

Le  Fléau

Écrit par

Critique lue 330 fois

D'autres avis sur La Mouche

La Mouche
real_folk_blues
8

Pretty fly for a white guy

A l'instar d'un Dead Zone, Cronenberg signe sans doute avec The Fly (remake de La Mouche Noire de 1958), le moins fumiste de ses films fantastiques, le plus direct, le plus concis, le plus touchant...

le 31 mai 2012

129 j'aime

46

La Mouche
ThoRCX
9

Car aujourd'hui on vous aime, mais demain on vous jettera.

A la base, je n'aime pas les films gores, et en plus je suis un gros entomophobe (la phobie des insectes) depuis petit. Forcément un film qui raconte l'histoire d'un scientifique qui se fusionne...

le 29 août 2011

79 j'aime

5

La Mouche
SanFelice
9

Brundlefly

Il y a des artistes au sujet desquels je me dis que s'ils n'avaient pas la pratique artistique comme exutoire, ils finiraient sûrement à l'asile. Cronenberg en fait partie, pratiquement en tête de...

le 27 juin 2017

51 j'aime

7

Du même critique

Calmos
AlainStarman
3

Cassos

Deux hommes désertent la ville pour s'évader de l'emprise des femmes. Loin derrière les valseuses, on sourit aux grandes phrases sur la vie de Marielle et Rochefort et aux gags bien potaches. Le...

le 6 févr. 2016

3 j'aime

The Pledge
AlainStarman
5

Battre en Retraite

Nicholson utilise parfaitement bien l'immense bagage cinématographique qu'il a accumulé en tant que type inquiétant et tourmenté, au service de sa vieillesse apparente que Sean Penn capte sous le bon...

le 5 nov. 2015

3 j'aime