Avec la Neige et le Feu, film de guerre spectaculaire, Claude Pinoteau obtient, pour l'un de ses derniers projets, le plus gros budget de sa carrière. Il s'agit aussi de son échec le plus cuisant ce qui le condamna à l'oubli.
Pourtant le film ne manque pas de qualités, honnête et généreux, il offre un regard séduisant sur une période et des événements rarement portés à l'écran : l'engagement de jeunes français sur le front de l'est à l'arrivée du général de Gaulle. On a accusé le film de patriotisme béta, disons qu'il aurait été possible de représenter la jeunesse de 1944 avec plus de nuances. Il eut fallu contre-balancer cet échantillon en ajoutant quelques miliciens collabos, mais c'eut été aller contre le bel esprit exalté du film, attaché à des personnages tout aussi cohérents de ce temps-là, les vaincus désireux de regagner leur honneur.
Mais d'autres films étaient passés par là, comme Lacombe Lucien de Louis Malle, 1974, ou Monsieur Klein de Joseph Losey, 1976, eux-mêmes tièdement accueillis à leur époque mais qui représentent maintenant le paradigme d'une vision distanciée, froide et amère de la guerre vécue par les français.


Concédons cependant que La Neige et le Feu est loin d'être exempt de défauts, d'ordre esthétiques et structurels plus que thématiques.
C'est tout d'abord d'un déséquilibre scénaristique que le film souffre. Le réel sujet étant le déchirement de deux amis, interprétés par Vincent Pérez et l'oublié Matthieu Rozé, tous deux amoureux de la très jeune Géraldine Pailhas. De fait la guerre se trouve rapidement mise au second plan du récit. Malgré la violence et la peur bien présentes dans l'environnement des héros, ceux-ci semblent surtout êtres affectés par les revirements amoureux de la jeune fille. Nous sommes presque ennuyés lorsque les scènes de batailles arrivent tant celles-ci semblent interrompre le fil d'une romance certes bien menée mais peut-être trop présente. Et les situations militaires de passer pour une collection d'anecdotes historique à un million de francs, amusantes, intéressantes, mais pas vraiment excitantes. On a l'impression d'assister à des reconstitutions au format court-métrage, racontées aux dépends du parcours des protagonistes, alors simples témoins de moments aléatoirement dramatiques ou tragi-comiques. La caméra n'arrive pas à trouver l'émotion ni à créer le rythme. Le film semble saccadé, lancé puis interrompu. Le montage sans doute serait à revoir.


Ces imperfections scénaristiques s'expliquent sans doute dans la genèse du projet que révèlent Pinoteau et sa scénariste de longue date, Danièle Thompson, dans les bonus du DVD : ils avaient commencé à travailler sur l'adaptation d'un roman sentimental se déroulant pendant la guerre, La Bicyclette bleue de Régine Deforge, centré sur un personnage principal féminin. Celui-ci s'est vu annulé pour des questions de droits d'auteurs (le scénario sera plus tard réalisé pour la télévision par Thierry Binisti pour France TV, avec Pinoteau crédité comme scénariste) laissant le duo d'auteurs au désarroi. Or en parallèle Alain Poiré, fameux producteur de la Gaumont, avait découvert que Claude Pinoteau avait lui-même été soldat sur le front de l'est et s'était enthousiasmé pour les anecdotes que le cinéaste lui avait raconté. Et Poiré, lui-même désolé de l'échec de l'adaptation, de donner carte blanche à Pinoteau pour porter ses souvenirs à l'écran. Finalement c'est un peu à cela que le film ressemble, un film de guerre sans réel point de vue sur la question autre que celui d'un jeune engagé incrédule et qui, reprenant les bases du roman précédemment évoqué, s'attache à raconter les tourments sentimentaux d'une jeune fille et de ses amoureux.
Émouvant mais insatisfaisant, le film pêche aussi dans sa mise-en-scène. Pinoteau qui d'assistant est devenu réalisateur de comédies d'action pour Lino Ventura, puis de comédies sentimentales, a visiblement du mal à trouver le ton juste. Ressemblant dans son récit au Pearl Harbor de Michael Bay et dans certaines de ses situations à la série Band of Brothers d'HBO, le français n'arrive pas à installer un climat d'urgence et de danger vraiment convainquant.
Mais encore une fois la prégnance de la romance semble être responsable de ces errements tant les séquences les plus réussies du film sont souvent celles où les personnages s'aiment puis se rejettent. Certaines idées de lumières et de mouvement de caméra autour de Géraldine Pailhas sont assez beaux, bien que peut-être kitsch pour certains regards tristes d'aujourd'hui.
On ne boudera pas son plaisir non plus face à la générosité de la reconstitution, certaines scènes de camaraderies entre jeunes engagés étant vraiment amusantes et les scènes d'action dans l'ensemble correctement réalisées, suffisamment pour que l'on prenne conscience que des français aussi se sont battus pour libérer leur pays.


Malgré les nombreux reproches que nous venons de faire il reste que le film est, sous bien des aspects, beaucoup plus appréciable que les dernières tentatives françaises en date, de la mollassonne et édifiante Armée du Crime de Guédiguian, 2009, au pathétique et inutile La Rafle de Rose Bosch, 2010.
6 étoiles pour l'audace et la rareté de film, qui ne mérite pas l'indifférence dont il fait l'objet.

Naoo
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le 13 juin 2016

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