Si Tran Anh Hung n’est pas mécontent de l’oubli dans lequel sont tombés ses deux courts-métrages (*), les savoir à ce point méconnus laisse néanmoins dubitatif.

Dès le début, on nous livre dans son intégralité une brève histoire vietnamienne, tragique et tellement semblable à certaines histoires mythologiques qu'on pourrait sans peine, si ce n'était l'absence d'éléments surnaturels, se croire chez Cocteau et sa machine infernale.
Et si la petite histoire vietnamienne nous est exposée dès le début, on l’oublie très vite sans se rendre compte que nous sommes en fait face à son illustration. Quand la nouvelle éclate, notre surprise éclate avec elle alors que tout aurait du nous y faire penser.

Il fait froid, et pourtant tout va au mieux dans le petit appartement familial. Mais chacun sait que le bonheur ne saurait durer bien longtemps, et c'est lorsque la femme se plaint de démangeaisons que son mari découvre la douloureuse vérité. La nuit enveloppe alors le couple dans un merveilleux contraste : le visage impassible et tranquille de la femme endormie dans l'ignorance, et face à elle, celui de l'homme conscient et rongé par l’inquiétude. A l'annonce de la nouvelle, la veste glisse des épaules de cette mère qui ne tardera pas à s'effondrer. Tout le reste n'est qu'une succession de petites actions trahissant le malheur.

Tran Anh Hung démontre une fois encore qu'il sait filmer les objets du quotidien mieux que personne : ces quatre chaises qui deviennent deux, restent deux, pour redevenir quatre. Ce biberon, seul sur son étagère et remplissant à lui seul toute une série de plans. Cette poignée de porte qui ne s'abaissera jamais...
(Non mais trouvez quelqu'un qui filme avec autant de force une simple poignée de porte !!)

L’enfant crie, la femme pleure. Et dans un geste désespéré, elle tente d’attraper ce que son nourrisson réclame. Mais tout est désormais insurmontable, et les cris de l’enfant semblent émerger de la femme elle-même tant son désespoir est parlant. Pendant ce temps, comme souvent chez le réalisateur, le robinet continue de goutter.
Notre regard s'accroche aux pieds de cet enfant dans les mains de cette femme. Et la mer finit par tout emporter...

Dans ce court-métrage, Tran Anh Hung donne à un propos toute sa force. Dans La femme mariée, il exploitera davantage, bien que déjà présent ici, ce goût prononcé pour la beauté de l'image qui le caractérisera ensuite. Quoi que le réalistateur en dise, ces deux petites perles sont précieuses et méritent toute l'attention de ceux qui chérissent son œuvre.

(*) Je cite : "Je souhaite qu’ils restent invisibles, ce sont les films les plus tristes qu’on ait pu faire. Je broyais du noir sûrement, je devais être dans une période sombre de ma vie, il n’y a pas beaucoup de plaisir à les voir".
emmanazoe
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le 19 nov. 2012

Modifiée

le 11 déc. 2012

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emmanazoe

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