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La Plateforme de Galder Gaztelu-Urrutia est un peu considéré comme le film sensation de cette dernière semaine, tout juste sorti sur Netflix. En cette période de confinement et de fermeture des salles de cinéma, l’oeuvre prend alors une toute autre résonance à défaut d’être de grande ampleur.


Affublé d’un high concept prometteur qui aurait largement pu s’écrouler sous les multiples influences du genre, notamment avec l’omniprésente de celles de Cube et de Saw, La Plateforme se démarque tout de même par sa faculté à aller droit au but et à observer avec âpreté une nature humaine qui se détériore au fil des obstacles. L’oeuvre de Galder Gaztelu-Urrutia fonctionne avec un canevas programmatique autour du personnage de Goreng : dans un bâtiment inconnu appelé « la fosse », deux personnes sont « enfermées » à chaque étage d’un bâtiment, entre 4 murs et rien d’autre à leur portée mis à part un lit chacun, un lavabo et une vue sur ceux de l’étage du dessous et du dessus. Une plateforme pleine de nourriture descend à chaque étage pendant un court laps de temps et plus la plateforme descend aux niveaux inférieurs, moins les personnes auront à manger. Quitte à ne plus en avoir pour certains. Tous les mois, chaque duo change de niveaux de manière aléatoire et verra alors sa souffrance alourdie ou diminuée.


Avec ce postulat de base, de nombreuses références nous viennent en tête pour ce film qui va alors tenter de mélanger un discours social palpable et un cinéma horrifique abrasif. Derrière cette tentative de portraitisation de la lutte des classes, qui a comme objectif premier,celui de dessiner la hiérarchie sociale par le prisme de la verticalité, La Plateforme qui bien évidemment, avec ses faux airs de Snowpiercer de Bong Joon Ho mais aussi et surtout de High Rise de Ben Weathley, tente de pousser au maximum son récit composé de deux versants qui s’accommodent l’un de l’autre avec plus ou moins de facilité.


Le premier aspect porte alors sur le discours engagé et féroce autour de la lutte des classes. Scénario qui s’appesantit sur une étude globale de la mécanisation et des rouages glaçants de « La fosse », visant alors à construire et déconstruire l’éventail pervers et discriminant de tout un système où la violence amène la violence. Un système qui, dans le même temps et de manière logique, ne fait que bâtir une injustice sociétale au profit des privilèges de ceux d’en haut, laissant alors les miettes et la merde à ceux d’en bas. Le tout dans une démesure déshumanisante où solidarité se bat contre « la merde » des autres. Et de facto, Galder Gaztelu-Urrutia arrive parfaitement à dessiner les contours de son diagnostic global, quoiqu’un peu frêle, mais agile, en laissant beaucoup de questions en suspens pour tourner son regard vers ce qui fait la force du film : la responsabilité de chacun, la folie humaine et les choix de tous.


Car, un peu comme tous les films de nos jours qui essayent de se réapproprier l’intelligence artificielle, ce n’est pas La Plateforme qui va réinventer ou révolutionner le film social ou la schématisation autoritariste de nos sociétés. Ça serait trop facile de voir en cette oeuvre, le renouveau d’un genre et la réactualisation d’un discours visible de tout temps. Cependant, c’est lorsque La Plateforme tourne autour du cinéma horrifique et du survival gore et crasseux que le film trouve sa meilleure tournure. Avec sa courte durée, le trame narrative ne s’acoquine pas à de long discours et grandes phases théoriques ou théologiques mais passe par les chemins de traverse visuels poisseux et les codes du cinéma de genre pour accentuer sa férocité sur l’aspect survival, et les différents boucliers que chacun va utiliser pour se battre contre la mort et la faim : cannibalisme, meurtre, suicide, éviscération d’animaux etc.


Suivant les niveaux, Goreng aura différents compagnons de « niveaux » et verra en eux une symbolique qui leur est propre : celle de la survie individuelle pour le premier, la tentative d’une solidarité responsable pour la seconde et le changement du système par le biais de l’iconisation et la puissance du message pour le dernier. Savoir se défendre, dévier ou non de sa morale, tomber dans la folie ou continuer à raisonner par une logique civilisée ou primitive, penser pour soi ou pour l’autre, tous ces questionnements définiront le parcours sanguinolent de Goreng, dans une oeuvre qui arrive à point nommé, et se finissant sous le tumulte des interprétations, où même le moindre cheveu ne saurait sans doute pas faire balbutier la mécanique du système.


Article original sur LeMagducine

Velvetman
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le 27 mars 2020

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