Une démonstration technique sans âme
J'imagine que tout a été déjà été dit sur ce film, donc plutôt que de vous bassiner avec les conditions de tournage draconiennes, je vais simplement vous donner mon ressenti de modeste cinéphile. Quand j'ai entamé le visionnage, je ne savais rien ou presque de ce long métrage, si ce n'est que le résultat était imparfait et que les critiques avaient été assassines à sa sortie. Je m'attendais donc à des trous béants dans le scénario, voire à un ratage global. Il n'en est rien.
"La Porte du Paradis" est à mes yeux un film de grande facture sur le plan technique. Visuellement, on en prend plein les mirettes grâce à une photographie de Vilmos Zsigmond absolument éblouissante. Certaines scènes sont d'une beauté inouïe, et ce n'est pas uniquement dû aux décors majestueux du Wyoming. Avoir une jolie photo, c'est bien, mais être virtuose avec la caméra, c'est encore mieux, et Michael Cimino nous montre pourquoi il est l'un des plus grands réalisateurs de l'histoire du cinéma. Il y a plusieurs moments d'anthologie dans cette œuvre maudite : je pense ainsi aux multiples scènes de danse, qu'elles soient grandiloquentes ou intimes. La scène du violoniste en patins à roulettes est également un grand et beau moment qui rappelle l'esprit festif du mariage de "Voyage au bout de l'enfer". Enfin, le court travelling dans la ville où la caméra suit le nuage de fumée d'un appareil photographique nous montre le sens du détail aigu de son réalisateur. Michael Cimino se comportait peut-être en tyran sur le plateau de tournage, mais quand on voit le résultat, on se dit que cela valait peut-être le coup d'être un tantinet exigeant…
S'il frôle la perfection sur le plan visuel, "Heaven's Gate" n'est pas exempt de défauts, à commencer par une gestion désastreuse du rythme. L'histoire met deux bonnes heures à démarrer, et dans sa version de 3 heures et demie, le film souffre régulièrement de longueurs. Que l'on cherche à poser l'histoire et à donner du relief aux personnages est une chose, mais à un moment, il faut savoir couper les scènes plutôt que de les faire durer inutilement. Cela m'amène au deuxième souci du film : la direction d'acteurs. Je ne sais pas si Cimino a laissés ses comédiens en roue libre, mais je n'ai rien ressenti face à ces trop nombreux personnages : j'ai en effet eu la désagréable impression que tous les acteurs surjouaient en permanence (mention spéciale à Christopher Walken), et toutes les scènes basées sur de longs silences sont donc complètement tombées à plat en ce qui me concerne.
Le casting m'a également déçu : Kris Kristofferson n'a pas les épaules suffisamment larges pour mener un film d'une telle envergure, et la pauvre Isabelle Huppert est une catastrophe ambulante incapable d'insuffler un semblant de vie à son personnage. Trente ans avant Indiana Jones 4, John Hurt réussit quant à lui l'exploit de plomber un autre film à lui tout seul dans le rôle d'un illuminé censé être comique... Cela dit, il y a tout de même quelques acteurs qui sortent du lot, comme Jeff Bridges ou Sam Waterston (dans le rôle du salopard moustachu). Et puis je dois vous avouer que même si je ne l'ai pas reconnu tout de suite, ça m'a fait rudement plaisir de voir Terry o'Quinn (John Locke de Lost) avec des cheveux !
Ce que je ne comprends pas, c'est que Cimino n'ait pas davantage travaillé son scénario. Raconter la véritable histoire des Etats-Unis, ce n'est pas évident, surtout quand on met en avant la lutte des classes sanglante entre des WASP tout droit sortis d'Harvard et des immigrants venus des pays de l'est. Mais avec 3h30 devant soi, il y avait forcément moyen de faire les choses correctement, non ? A la fin du visionnage, je dois bien avouer que je n'avais pas appris grand-chose sur les motivations des divers protagonistes. Les dialogues ne sont pas suffisamment bien écrits, et les trop longues tergiversations des immigrants sur le point d'être exécutés m'ont laissé perplexe. Rien ne semblait crédible, et cela me ramène au problème de direction d'acteurs que je soulevais plus tôt. Avec son budget pharaonique et la pléthore d'acteurs, Michael Cimino avait tout pour réaliser une œuvre majeure, mais son montage final donne une impression d'à-peu-près, comme s'il n'avait pas su quoi faire avec tout cet argent et tous ces figurants. Certes, il y a de belles scènes qui ont pleinement leur place au panthéon du cinéma, mais en termes de narration, on frôle le néant absolu, et le triangle amoureux n'arrange pas les choses... En insérant une "petite" histoire de cœur au sein de la "grande" Histoire des Etats-Unis, le réalisateur oscarisé en 1979 a essayé de nous refaire le coup de "Voyage au bout de l'enfer", mais faute d'alchimie et de talent, les 3 acteurs principaux ont lamentablement échoué et scellé le destin du film par la même occasion.
Conformément à la légende, "La Porte du Paradis" est donc bien une œuvre imparfaite. Aussi impressionnant sur le plan technique qu'il est brouillon sur le plan narratif, ce film ambitieux sur le papier ne peut que diviser les foules. Michael Cimino donne constamment l'impression de vouloir en mettre plein la vue aux spectateurs, sans avoir la moindre idée de ce qu'il cherche à leur raconter. Pendant plus de 3 heures, il enchaîne donc des scènes de pure maestria technique, mais le résultat final manque clairement d'âme. Obnubilé qu'il était par son désir de réaliser le plus grand chef d'œuvre de tous les temps, Cimino a sans doute oublié une des règles fondatrices du cinéma : pour faire un bon film, il faut une bonne histoire et de bons acteurs.