En lançant La Porte du Paradis, il y a une chose qu'on peut remarquer d'emblée, c'est que Michael Cimino n'y est pas allé de main morte pour nous plonger en pleine reconstitution. Les gros moyens ont été déployés et ça se voit, le film ayant un sacré sens de l'ambition et de la démesure, tant dans les décors grandioses que dans le nombre de figurants, le tout pour rendre ses scènes les plus vivantes possibles. Un sens du détail très appréciable qui confirme le talent de metteur en scène du monsieur.
Car oui, l'immersion dans ces vastes plaines et ces endroits fort peu accueillants est totale. Passionnante à suivre, cette épopée a plus d'une corde à son arc. Le réalisateur parle de plusieurs sujets qui font mal, notamment la fameuse lutte des classes, et dresse un portrait particulièrement amer de l'Amérique de l'époque. L'horreur de cette Amérique est brillamment retranscrite, un sans-faute de ce côté-là. Sans-faute également du côté de la réalisation et de la photographie, qui contribuent pleinement à l'entreprise d'immersion massive (si tant est que cette expression existe). Et ça a montré que depuis le début, les Razzie Awards ne sont qu'une vaste blague vu que Michael Cimino avait été nommé pire réalisateur...
D'ailleurs, vous connaissez sans doute la réputation de ce film maudit à sa sortie (démoli par la critique, énorme gouffre financier, film monté, démonté et remonté etc.), donc je ne vais pas tergiverser pendant longtemps sur le sujet, beaucoup l'auront souligné mieux que moi. Le film a heureusement eu droit à sa ressortie en version restaurée en 2012, proposant une longue, mais enrichissante expérience.
Avec La Porte du Paradis, Michael Cimino ne met pas uniquement en scène une guerre effroyable dont l'intensité se ressent sans difficulté, mais aussi un triangle amoureux vraiment bien écrit, optant pour une approche parfois intimiste et humaine, parfois plus dérangeante, mais toujours efficace. Ce triangle doit beaucoup à ses interprètes, Christopher Walken, Kris Kristofferson et Isabelle Huppert se débrouillant à merveille dans leurs rôles respectifs, surtout les deux hommes, ainsi qu'à l'écriture des personnages.
L'ensemble n'est pas avare en scènes fortes (la dictée de la liste noire, prémisse de la tempête qui ne tardera pas à éclater) et progresse jusqu'à un final époustouflant, dégageant une puissance telle que peu de films le font aussi bien. Une bataille finale qui ne lésine pas non plus sur les grands moyens, d'une violence non négligeable, et qui marque aisément les esprits. A la fin de cette bataille, difficile d'en ressortir indemne. Michael Cimino maîtrise parfaitement le chaos de cette scène, et tout le désespoir qui s'en dégage, lors de la bataille comme après la bataille.
La Porte du Paradis est une ambitieuse et éclatante réussite, majestueuse, belle, cruelle, intense, et terriblement prenante, sachant jongler sans difficulté avec les émotions à ressentir, entre l'horreur de la bataille et la beauté dégagée par un amour naissant (la danse entre James et Ella, magnifique). Heureusement que le temps a permis de redonner ses lettres de noblesse à cette brillante reconstitution d'une douloureuse page de l'histoire dont l'Amérique peinera à se remettre pleinement.