Trente hommes doivent pousser 10000 têtes de bétail sur 1600 km en traversant le territoire des Comanches pour une expédition périlleuse jamais tentée auparavant. Les conditions de travail, la fatigue, la soif et la folie de l'entreprise provoqueront des tensions extrêmes. La Rivière Rouge en question est le Rio Grande. C'est la chanson d'Eddy Mitchell qui m'a donné envie de faire cette critique dans l'esprit de son émission très ancienne« la Dernière Séance. »

Borden Chase, un ancien terrassier, a écrit le synopsis intitulé Break of Dawn, puis Blazing Guns on the Chisholm Trail, titre qui fait pulp magazine alors que Red River ferait plutôt penser à un film de propagande communiste sur la construction d'un barrage. Borden Chase enchaînera avec une liste impressionnante de westerns dont Vera Cruz, Winchester '73, Les Affameurs et Je suis un aventurier. Howard Hawks le metteur en scène n'a encore jamais tourné de western. Filmer les Indiens ne l'intéresse pas. Ce qu'il veut montrer, ce sont les efforts des hommes au travail, leur courage, leur endurance et les conflits entre des caractères forts. Filmer les plans extérieurs n'a jamais trop intéressé Hawks, c'est Arthur Rosson, ami de longue date du metteur en scène, qui tournera ces scènes. C'est à lui que l'on doit les séquences mémorables de grande bousculade du bétail (stampede).

Les sources de conflits de Red River viennent de l'autoritarisme du chef Tom Dunson qui dirige le convoi d'une manière tyrannique comme le capitaine Achab dirige ses hommes dans Moby Dick. Dunson, monstre d'égoïsme, abandonne la femme qui l'aimait (Coleen Gray) sans remords, s'accapare le bétail d'autrui sans aucun scrupule, malmène ses hommes, ne dort plus dans son délire paranoïaque, et tue pour asseoir son autorité, jusqu'à ce qu'il fasse l'erreur de trop en voulant pendre de prétendus déserteurs de son équipe. Pour la suite le film a été parfois comparé aux Mutinés du Bounty pour son intrigue similaire. John Wayne joue Tom Dunson, un homme plus âgé que lui mais qui incarne une fois de plus l'Amérique fière et conquérante. Grâce à sa prestation le méchant n'est pas tout à fait méchant, seulement sévère mais injuste. Hawks le premier a utilisé Wayne différemment avec un personnage plus ambivalent que d'habitude. « Je ne savais pas que ce grand nigaud savait jouer » aurait dit John Ford après avoir vu Duke jouer Dunson. Walter Brennan fait le narrateur, joue sans son dentier Groot le cuistot (il est peu probable que son personnage ait servi de modèle au héros de Marvel du même nom) et il forme un couple d'anciens avec Wayne, comme plus tard dans Rio Bravo. Le jeune Mathew Garth, joué par Montgomery Clift, forme un second couple avec Dunson ; il joue au début le rôle de fils de substitution de Dunson puis prend de l'assurance et devient le seul à oser s'opposer à lui. Le rôle de cow-boy n'était vraiment pas évident pour Montgomery Clift qui avait plutôt un physique de jeune premier. John Wayne, pas vraiment copain avec Clift, raconta que Clift était pour lui un « arrogant little bastard ». Il est vrai que dans le film Monty devient le principal contradicteur du Duke et lui vole la vedette dans la dernière partie, ce que le Duke n'a pas dû trop apprécier. Grâce à sa performance Monty, venu du théâtre, va devenir rapidement une vedette pour les films suivants. Un ancien garçon vacher, Richard Farnsworth, non crédité, deviendra une vedette lui aussi mais beaucoup plus tardivement et lentement, à la vitesse de la tondeuse à gazon qui traverse tout l'Iowa pour Une Histoire Vraie de David Lynch. Joanne Dru en Tess Millay est le point faible du film qui est il est vrai essentiellement une histoire d'hommes et de bétail. Sous la pression des censeurs qui n'appréciaient pas trop les dialogues avec sous-entendus sexuels, son rôle a été fortement diminué. John Ireland joue Cherry Valance, un cow-boy porté sur la gâchette. Il joua un des frères Clanton dans La Poursuite infernale de John Ford. Ireland était plus connu pour être monté comme un âne que pour ses talents d'acteur. Il devait d'ailleurs épouser Joanne Dru à la fin du tournage. (info pêchée dans le livre de Philippe Garnier qui accompagne le CD et dans lequel j'ai puisé la plupart de mes infos).

Hawks réussit à bien diriger son petit monde. Il fait ici ce qu'il sait le mieux faire : des scènes laconiques, parfois improvisées; et surtout avec un ton sec et ironique. Avec un acteur comme John Wayne, Howard Hawks ne pouvait pas se planter mais il réussit à bien diriger des acteurs de personnalités très différentes et passe avec succès son examen pratique du western. Il confirmera par la suite brillamment avec Rio Bravo.

Zolo31
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs westerns

Créée

le 17 juin 2023

Critique lue 183 fois

14 j'aime

11 commentaires

Zolo31

Écrit par

Critique lue 183 fois

14
11

D'autres avis sur La Rivière rouge

La Rivière rouge
Sergent_Pepper
8

In the flame of the father.

Avant le Convoi de femmes et celui des vivres dans Les Affameurs, il y eut le grand film du convoi de bétail, et c’est à Hawks qu’on le doit. Lui qu’on connait plus à son aise dans des espaces clos...

le 24 janv. 2018

26 j'aime

La Rivière rouge
Docteur_Jivago
8

La révolte du fils

Cela faisait déjà une vingtaine d'année qu'Howard Hawks s'était établie à Hollywood lorsqu'il réalise La Rivière Rouge, son premier western, pour nous emmener sur les routes du Texas jusqu'au...

le 21 avr. 2014

25 j'aime

15

La Rivière rouge
Ugly
8

Le vétéran et le pied tendre

Comme souvent dans les films de Hawks, la Rivière rouge est l'histoire d'une amitié, mais une amitié contrariée et chaotique. Ce sont 2 hommes que tout sépare, l'âge comme l'expérience, et Hawks a...

Par

le 19 oct. 2017

22 j'aime

9

Du même critique

La Vie scolaire
Zolo31
7

Wesh Moussa, j’te connais, mec de mon bâtiment !

J’ai bien failli faire l’impasse sur ce film mais nous étions le 31 août et il me restait deux tickets de cinéma à utiliser dernier délai, donc retour vers l’enfer du 9-3, bien planqué cette fois-ci...

le 1 sept. 2019

34 j'aime

10

Thalasso
Zolo31
7

Extension du domaine de la lutte par l'utilisation combinée des bienfaits du milieu marin

Le cinéma français aurait-il trouvé un nouveau souffle grâce à l'absurde ? En même temps que sort Perdrix du prometteur Erwan Le Duc paraît donc le nouvel opus de Guillaume Nicloux, Thalasso. Le...

le 21 août 2019

28 j'aime

10

Julieta
Zolo31
5

Homéopathie? Pauv' Julieta!*

Similarité, identité, conformité et similitude. Le dernier opus d'Almodovar respecte ces principes. Principe de similarité Julieta est un film sur les rapports mère - fille, comme tous les films...

le 1 juin 2016

28 j'aime

1