Impossible d'être passé à côté de l'excellent roman de Cormac McCarthy (No Country for Old Men) lauréat du prix Pulitzer en 2007 : The Road. Magnifique drame post-apocalyptique, il raconte l'histoire d'un homme et de son fils qui marchent en direction du sud pour tenter de survivre à un nouvel hiver dans une Amérique ravagée. Fait de lenteur et de mystère (aucune explication n'est donnée quant au pourquoi du comment de la catastrophe), le livre était un petit joyau ébranlant toutes nos valeurs modernes et mettant à mal notre humanité. Sa très rapide adaptation au cinéma a donc légitiment suscité de nombreuses craintes.

Les amateurs du livre peuvent être rassurés car le métrage réalisé par John Hillcoat, encore méconnu en Europe, est très fidèle à l'œuvre d'origine. Contrairement à ce que laissaient croire les bandes-annonces, l'action est très peu présente, le rythme est lent et l'atmosphère extrêmement sombre. Et c'est bien là tout l'intérêt du film. A l'heure où le très convenu et tristement ennuyeux 2012 ne cesse de remplir les salles, The Road nous propose une fin du monde incroyablement plus fouillée, plus réaliste et qui nous prend véritablement aux tripes. Là où Emmerich nous balance de la poudre aux yeux (et quelques poignées de millions de dollars par la fenêtre), Hillcoat (ou McCarthy) s'intéresse à l'homme et à l'éclatement de sa morale que provoquerait un cataclysme planétaire. On l'avait déjà vu dans Mad Max, l'homme civilisé n'est pas à l'abri d'un retour brutal à l'état primitif. Et c'est bien contre leur instinct de survie le plus primaire que ce père et son fils doivent lutter. Dans son livre, McCarthy n'avait pas eu peur de s'attaquer aux plus grands tabous de notre société en dépeignant, par exemple, plusieurs scènes de cannibalisme. On redoutait que l'adaptation n'en soit qu'une version aseptisée et tous publics. Mais c'est avec surprise qu'on constate que presque tout est là, jusque dans les pires atrocités. Le réalisme et la sauvagerie de certaines scènes sont tout simplement effrayants. Comment ne pas être estomaqué devant cet enfant quasiment indifférent lorsqu'il découvre une dizaine de corps pendus devant lui ? Ou encore devant cette magnifique scène –la plus poignante du film- s'éternisant sur un voleur à son tour dépouillé ?

Cependant, le réalisateur n'a pas réussi le tour de force de se contenter de filmer cet homme et son fils errant sur la route. Bien que tout à fait supportables, les quelques flashbacks cassent un peu le rythme. On aurait aimé voir plus de scènes où ces deux silhouettes décharnées marchent, tout simplement. On a parfois l'impression qu'Hillcoat saute d'un événement à un autre, alors que la beauté du livre résidait également dans la terrible lenteur de ces deux êtres. C'est peut être là le seul bémol du film. Au final, on peut tout de même s'estimer heureux que le projet soit tombé entre les mains de John Hillcoat. Sa route, c'est exactement celle qu'on visualisait en lisant Cormac McCarthy. Saluons d'ailleurs la volonté du réalisateur de sortir son film à la triste fin de l'autonome, quitte à repousser sa sortie de plusieurs mois. On comprendra pourquoi !

Notons encore la grandiose interprétation de Viggo Mortensen, qui porte presque à lui tout seul le film sur ses épaules. Après A Histroy of Violence et Eastern Promises, il est définitivement l'un des acteurs les plus remarquables de sa génération. Les courtes apparitions de Robert Duvall et de Guy Pearce sont elles aussi tout à fait saisissantes !


Profond, grave, émouvant, spirituel mais jamais bigot, The Road est une belle preuve que le fantastique, que ce soit au cinéma ou en littérature, est un genre particulièrement propice à la réflexion philosophique.
Cygurd
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le 14 janv. 2011

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Film Exposure

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