Encensé par la critique et représentant l’Allemagne aux Oscars, La Salle des Profs apparaissait comme l’un des films les plus prometteurs de ce début d’année en France. À la croisée du drame social et du thriller, j’en espérais une copie quasi sans faute. Malheureusement, j’ai dû sortir un peu trop souvent le stylo rouge…

Commençons déjà par la base d’un film sur l’école (qui est ici un Gymnasium, sorte de collège/lycée outre-Rhin), à savoir le traitement de la classe sur laquelle on ne trouve jamais d’entre d’eux : soit les gosses marchent aux pas et applaudissent pour retrouver le calme dans la classe (nan mais ça sort d’où ça ?), soit ils sont profondément désagréables et insolents, des mini-adultes tout à fait détestables. Sans surprise, sa constitution répond parfaitement aux stéréotypes avec le surdoué, la rebelle au côté garçon manqué ou le mauvais élève bagarreur. Une classe où la timidité n’existe pas, où l’on participe du tac au tac, sans temps mort, sans malaise, le tout dans un collège bien propret, à l’intérieur lumineux, très moderne, à la limite du design d’architecte.

De toute manière, La Salle des Profs n’a pas vraiment pour but de parler de la machine éducative et de ses aléas, malgré quelques incursions critiques qui auraient pu être intéressantes si le réalisateur avait pris la peine de s’y attarder, de les assumer, plutôt que de nous laisser sur ce plan final grossier, publicitaire. Un plan de deux secondes qu’on nous le balance dans la tronche comme une forme de point d’exclamation qui doit laisser le spectateur pantois, convaincu que le film vient de lui délivrer un message profond. Que dalle. On est dans l’image, pas dans la mise en scène. L’école n’est finalement qu’un lieu clos servant à produire de la tension (suggérée par le format 4/3 et évidemment par une musique angoissante comme il faut) grâce à des confrontations franches entre les adultes et enfants, entre les profs, les élèves et les parents.

Pour aller plus loin, intéressons-nous au personnage principal, Carla Nowak, que l’actrice Leonie Benesch porte à bout de bras à chaque instant du film tournée. Et plutôt bien d’ailleurs, malgré ce qu’on lui demande de jouer, à savoir une prof idéaliste, prête à tout encaisser, tout supporter. Le rôle aurait pu être intéressant si on avait pris la peine de faire doucement déliter ses méthodes pédagogiques douteuses et infantilisantes (que lui fera remarquer d’ailleurs un de ses élèves, mais faut pas cligner des yeux, ça dure 2 secondes…), mais le film la fait véritablement passer pour un être totalement vertueux (elle offrira même un RubiksCube à son bon élève adoré, comme c’est… consternant) entouré d’une cohorte de collègues tout à fait sournois qui ne pensent désespérément qu’à une seule chose : faire respecter l’ordre.

Et si je trouve plutôt intelligent le parti pris de ne pas idéaliser le corps enseignant, de ne pas voir la salle des profs comme un lieu forcément « sain » et de réconfort, ou comme un espace de politisation et de débat, le propos du film est malgré tout d’une simplicité limpide. Parce que oui, il ne suffit pas de faire du gamin musulman le premier bouc émissaire d’une série de vols dans la salle des profs au début du film pour dénoncer qu’il y a comme quelque chose de malsain qui traverse les murs de l’école ? D’autant plus que l’ensemble des profs ne cessent de se tirer littéralement des balles dans le pied en faisant constamment les mauvais choix : pourquoi soupçonner les élèves et les humilier alors que la salle des profs est strictement réservé aux enseignants et qu’il y a tout le temps des adultes présents dans la pièce ? Pourquoi sont-ils si aveugles sur leur moralité au point de ne pas soupçonner l’un des leurs et se sentent obliger d’intimider des enfants ? Je trouve le procédé particulièrement caricatural et mal pensé. Le film aurait gagné à jouer sur ces rivalités, à mettre plus en scène la manière dont cette enseignante qui n’arrive pas totalement à s’intégrer avec ses collègues (ceci dit, j’ai plutôt bien aimé sa relation bizarre avec son collègue comme elle d’origine polonaise, ça ajoute du vécu au personnage sans que ce soit véritablement important scénaristiquement), le malaise qui en découle, ce qu’on pense de ses méthodes, etc. Il serait intéressant de réellement voir ce qui peut se jouer dans une salle des profs plus justement que ce que le film nous en offre, préférant s’aventurer davantage sur le terrain du mauvais thriller.

Nous en arrivons alors à ce qui constitue l’intrigue de l’œuvre, cette fameuse histoire de vol dont la rapide résolution est l’élément déclencheur de toute une série d’emmerdes pour notre Carla Nowak adorée. J’ai pu lire dans Libération que La Salle des profs pouvait être comparé à Anatomie d’une chute dans son traitement de « l’impossible vérité ». Pardon !? À quel moment, la caméra et les dialogues essayent de disculper la CPE Friederike Kuhn qui ne cesse de s’accuser elle-même, en plus de la preuve accablante de la vidéo de l’ordinateur de Carla, par son comportement avec des scènes de colères tout à fait classiques (cris, sanglots, porte qui claque, visage marqué, etc.), puis son mutisme. À aucun moment le film ne lui laisse une chance de se défendre, de produire un discours suffisamment convaincant pour essayer de faire nous partager « sa » vérité, de créer du flou, du trouble autour de sa culpabilité et de sa personne.

En somme, La Salle de profs est un film trop concentré sur sa petite montée en tension dramatique et la production d’images « marquantes » (comme ce moment où Carla entre dans sa classe et hurle littéralement avec les gamins dans la classe, sérieusement ?), sans toutefois parvenir à réellement pimenter une mise en scène assez insipide.

cortoulysse
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le 16 mars 2024

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