Lassé par la vie décousue et oisive que mène son fils François, craignant pour sa propre réputation, Maitre Gerane, avocat reconnu et autoritaire, le fait enfermer à l'asile psychiatrique. François se voit confié aux bons soins du docteur Varmont, qui voit dans son instabilité la marque certaine de cette folie incurable, qui rend impossible la vie hors-les-murs de l'asile. Mais François est jeune, pas vraiment fou et pas encore résigné. Mais ses alliés sont impuissants: ni le jeune docteur Emery, qui aimerait le comprendre, ni Stephanie, qu'il a rencontrée trop tard ne pourront lui porter secours. Lorsqu'il s'évade enfin, profitant de la diversion que crée le suicide d'un compagnon d'infortune; c'est pour mieux être repris, arraché aux bras de celle qu'il aime et enfermé.
Pour son premier long-métrage, Franju choisit d'adapter à l'écran un roman d'Hervé Bazin. La mise en scène est de Jean-Pierre Mocky; il y joue également le rôle de François, aux cotés de Pierre Brasseur (Docteur Varmond), Charles Aznavour (Heurtevent), Paul Meurisse (Docteur Emery) et Anouk Aimée (Stephanie).
L'histoire de ce jeune homme à la vie trop peu rangée pour que son entourage bourgeois ne s'en émeuve, est l'occasion pour Franju et Mocky de faire une critique acerbe de la bonne société de l'époque. Les gens "installés", qui "construisent" ne peuvent tolérer aucun débordement; celui qui n'entend pas se laisser corseter est un nuisible dont il faut se débarrasser. Alors l'avocat donne en pâture son fils au psychiatre aliéniste. L'enfermement rend fou, délabre l'humain, qu'il soit social ou spatial, voilà ce que nous montre Franju dans ce film; où les figures de fils, de vie, de renouveau se font toujours étouffer par des figures de père, de mort, de tradition.
Franju nous dit ici son amour de la liberté, et son gout pour le cinéma du réel. Certes, il s'agit-là d'une fiction, mais comme dans ses courts-métrages (Le Sang des Bêtes), il cherche les éléments étranges, inquiétants, poétiques dans le réel. La musique et la rythmique qui ornent l'intrigue sont créées par Maurice Jarre à partir de sons et rythmes issus du film. Les instruments prennent le relai des bruits du réel, le déploient, le poursuivent. Franju fut le premier à repérer le talent de ce jeune compositeur: leur première collaboration, en 1951 - Hôtel des Invalides, premier court-métrage du réalisateur- lance la carrière cinématographique de Jarre.
La psychiatrie est le reflet terrible d'une société qui y enferme son rebut. La soumission, la cruauté, la souffrance: tout est exacerbé derrière ces quatre murs plus hauts, plus durs que ceux d'une prison, car de ceux-là, jamais on ne pourra sortir. Le malaise qui sourd de ces images est l'œuvre d'Eugène Schüfftan, maitre des éclairages inquiétants. Issu de l'expressionnisme allemand, il a travaillé avec Fritz Lang et Pabst. En utilisant des miroirs inclinés, il a crée les immenses décors de Métropolis ,(1926). Ces techniques sont encore utilisées dans les films fantastiques.
La Tête contre les murs questionne notre regard sur le monde, notre capacité à le voir beau et à l'embellir. Qui a peur de la liberté? La Tête contre les murs ou la défaite de la jeunesse, de la vie, du mouvement, écrasés par le poids des certitudes, de la norme. La sécurité des puissants est à ce prix.
Beepwyckhuyse
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le 1 mai 2012

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