Film d'ouverture au Festival de Cannes, La Tête haute ne vaut pas que pour sa jeune notoriété, pourtant déjà gratifiante. Le nouveau film d'Emmanuelle Bercot a l'audace d'aborder une thématique que très peu remarquée dans le cinéma, celui de la protection de l'enfance dans sa généralité, à travers le cas typique du parcours éducatif d'un jeune délinquant, qu'une juge des enfants et un éducateur tentent coûte que coûte de sauver. Un film qui, d'une certaine manière, ne s'adresse qu'à un public ciblé, ayant déjà une certaine connaissance du contexte.


Emmanuelle Bercot s'empare donc d'un cas d'école pour en livrer toute l'entendue et la complexité propres au domaine de la protection de l'enfance. Il est clair que le film, dès ses premières minutes, fait part d'un réalisme et d'une neutralité tels que tout spectateur un minimum concerné semble être comme absorbé de force au beau milieu des lourds et douloureux instant d'une audience de placement. Car ici, à travers son cas d'école, la réalisatrice semble avoir saisi depuis longtemps que cliché ne rime pas avec facilité. De là, il en ressort tous les acronymes propres à l'Aide Sociale à l'Enfance, que tous les travailleurs sociaux se feront un plaisir (ou pas !) de retrouver (OPP : Ordonnance de Placement Provisoire ; AEMO : Action Éducative en Milieu Ouvert ; CEF : Centre Éducatif Fermé...), une déchirante et pourtant évidente fidélité à la réalité.


La réalisatrice semble également renforcer cet aspect réaliste en misant sur la performances de ses acteurs. Il en ressort des prestations d'une justesse saisissante, le jeune Rod Paradot en tête, qui, ici, trouvera probablement un véritable élan à sa carrière. Pièce centrale du film, il fait part d'une rage et d'une souffrance intérieures telles qu'il est possible d'en faire la comparaison avec un véritable reportage. A son propos, Cannes parle de la révélation de l'année... Catherine Deneuve en juge des enfants laisserait croire à juste titre qu'elle exerce ce métier depuis le début de sa carrière et Benoit Magimel, en éducateur référent, intègre et usé, prouve son réel talent, loin, très loin des films de bobos parisiens. En outre, il est difficile d'espérer davantage d'allégeance à la dure réalité de cette société.


Un petit bémol peut tout de même résider au niveau de son attrait pour le public. La Tête haute reste un film difficile à appréhender, voire même à approcher. La cause étant qu'il aborde un contexte fort complexe, parfois même anxiogène pour son spectateur. La vie du jeune Malony passe par divers climats émotionnels qui rendent la chose, dans l'ensemble, difficilement accessible. D'un point de vue global, La Tête haute n'attire pas forcément le féru de cinéma, le contraire serait même tout à fait compréhensible. Autre aspect, certaines séquences où situations qu'il est inutile d'énumérer peuvent susciter, d'un point de vue éthique, une importante désapprobation de la part du public le plus averti.


La Tête haute n'en est pas moins le résultat du travail d'une réalisatrice qui croit indéniablement en son cinéma. Sombre mais émouvant, charnel mais social, le film d'Emmanuelle Bercot est une réussite en tous points, frisant la déchéance et défiant l'outrance. Un bras d'honneur à tous ces pseudo-drames français, qui se la jouent swag avec leur casting d'humoristes-néo-dramaturges et leurs propos niaiseux. La Tête haute est une drame vibrant, suscitant parfois le silence gêné ou le rire libérateur, mais qui ne fait appel à rien d'autre que la pure émotion, celle qui bouleverse et qui dérange. Emmanuelle Bercot est là pour rappeler que le cinéma est un art qui s'adresse à tous et prouve avec grande aisance que même le domaine de la protection de l'enfance mérite un brin d'encouragement et d'intérêt.

langpier
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le 29 mai 2015

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