« Mais qu'est ce qui vous fait dire que c'est de l'eczéma ? »

La Traque est un film de monstre français. « Film de monstre » est peut-être une appellation un peu ambitieuse, mais je pense qu'il avait vocation à être rangé dans cette catégorie.
Autant le dire tout de suite : le côté action/monstre n'est pas loin d'être complètement raté.
C'est donc ailleurs que je suis allée chercher ses qualités...

Antoine Blossier tente de nous plonger dans une atmosphère rurale, qui pue les complots de famille et les accointances entre les représentants de l'Etat et les industriels du cru. La lourde histoire familiale est relativement bien rendue dans les dix minutes d'exposition : on comprend que le grand-père fait vivre son champ grâce aux engrais du fils et de la petite fille, et que l'ex-épouse est à la tête du village qui abrite cette mini mafia. Le jeune gendre est au milieu de tout ça, ne trouvant pas vraiment sa place, et représentant « le bon sens scientifique ». Voilà pour la présentation des personnages. On conclue donc rapidement que c'est le gendre, Nathan, qu'on va supporter dans cette histoire.

La Traque traite de quelques thèmes qui me sont chers, à savoir l'industrialisation de l'agriculture et l'empoisonnement des sols qui en résulte, et les lobbys (à très petite échelle ici) qui freinent fortement la révélation publique des scandales liés à tout ça. C'était très bien vu de prendre un acteur physiquement détestable pour représenter ledit lobbyiste-industriel : François Levantal arrive à rendre son personnage éminemment antipathique, sans faire beaucoup d'efforts.

Côté acteurs, on peut pas dire que le reste du casting soit particulièrement brillant. Fred Ulysse campe un vieux paysan au rôle mal travaillé. Ainsi, la première scène, où on le voit répondre à Nathan « c'est rien c'est mon eczéma » lorsque ce dernier découvre les tâches sur son dos, m'a semblée très juste : le paysan bourru qui se pose pas de questions et ne va pas chez le docteur tant qu'il n'est pas mourant. Mais ce vieux patriarche, censée être aguerri à toutes les tâches de la campagne, comme on voudrait nous le présenter, sonne extrêmement faux lorsqu'il s'écrie, face au terrier enfumé de la bête qu'il traque depuis plusieurs heures, « oh non, cette saloperie a deux entrées ! ». Même moi, qui n'ai jamais chassé, je me suis octroyé un facepalm sur cette réplique tellement débile. À noter aussi, lors de la distribution des armes, le sniper balancé à un gars qui a – visiblement – jamais chassé. Les chasseurs seraient donc tous inconscients ? Wait...
Le personnage de David est sans profondeur – d'ailleurs, cette scène de boxe sur arbre contre son némésis de frère au milieu d'une attaque de sangliers mutants débarque dans l'histoire on ne sait pourquoi, et n'a pas la moindre crédibilité. Un facepalm de plus pour ma part.
Grégoire Colin, qui incarne Nathan, n'est pas bien plus convaincant. Il est à peu près égal tout le long du film : quand il parle à sa femme, quand il pose un ultimatum à sa femme, quand il soigne son grand-père par alliance ou quand il s'engueule avec son beau-père. Seul le volume de sa voix diffère. Il faut lui concéder que les dialogues, hors scènes d'intro, sont plats, attendus, voire parfois navrants. Difficile d'y mettre du cœur, dans ces conditions.

L'action, enfin, parce qu'on est quand même face à un film d'action...
Sylvestre, ai-je envie de dire. Le plus beau casting de fougères du cinéma français. Le sanglier s'approche : bruissements de fougères. Le sanglier s'énerve : secouage de fougères. Le sanglier veut tuer tout le monde : tempête de fougères. Note : une amélioration « roseaux des marais » est disponible à partir du milieu du film. Milieu et fin du film qui ont lieu de nuit, avec une lampe de poche. Au milieu des marécages/de la forêt. Je comprends bien que lorsqu'on fait un film de monstre à petit budget, on doit trouver des feintes. Vraiment, je comprends. Mais personnellement, je trouve rien de plus décevant que de voir un film de monstre comptant seulement trois scènes de quart de monstre dont la mâchoire fait clac-clac comme un sécateur tavu. C'est risible ou navrant ; dans les deux cas c'est tout sauf immersif.

En résumé, La Traque est un film fantastique français de plus qui essaie. Et je continuerai à encourager ce cinéma, malgré ses défauts actuels. Les thèmes soulevés sont ancrés dans le présent et plutôt bien vus. C'est juste qu'ils se diluent beaucoup dans la médiocrité de la forme. Un jour, nous aurons des acteurs, des dialogues, et des moyens financiers convaincants.
Spark
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le 12 juil. 2011

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