« On ne naît pas femme, on le devient » (S. de Beauvoir)

Dans l’une des nombreuses contrées où les femmes réalisatrices ne sont pas légion, ici le Vietnam, Ash Mayfair, dont la famille est originaire du nord du pays, s’entoure d’une équipe largement féminine pour reconstituer le destin d’une jeune fille, fusion de plusieurs récits ancestraux.


Ainsi apparaît, au XIXème siècle, May, dans son quatorzième printemps, incarnée par une jeune actrice, Nguyen Phuong Trà My, qui en compte un de moins mais dont le jeu sensible permet de donner vie à cette créature tout juste sortie de l’enfance. À présent nubile, May devient la troisième épouse d’un riche exploitant terrien, Hung (Le Vu Long). Sa première épouse, Hà (Tràn Nu Yen Khe), lui a donné son seul fils, lui-même en âge de prendre femme ; entre sourires et surveillance, elle se défie de la nouvelle venue, sans toutefois souhaiter se l’aliéner totalement. Sa deuxième épouse, la charmante Xuan (Mai Thu Huong), n’a pu enfanter que trois filles. D’un bout à l’autre de l’Extrême Orient, du Vietnam à la Chine, et d’un siècle à l’autre, les mentalités ont peu changé et l’on perçoit vite que, comme dans le film captivant de Wu Tianming, « Le Roi des Masques » (1996), seuls les descendants mâles ont quelque prix aux yeux des parents. A travers la destinée tragique d’une autre jeune fille, Ash Mayfair aura tôt fait d’exposer le peu de recours accordés à une femme répudiée dans son mariage, puisqu’il n’est point d’autre salut, pour un être féminin, que de lier son destin à celui d’un homme. Ainsi, guidée par une vieille servante bienveillante, May comprend-elle vite que l’unique moyen d’asseoir son statut auprès de Hung serait de lui offrir un nouvel héritier mâle, moins coupable que ne s’est rendu le premier... Mais quels sentiments pourra nourrir une jeune mère vis-à-vis de celui que son seul sexe dote de privilèges tellement supérieurs à ceux dont elle jouit ?....


Nourrie de culture littéraire, picturale et musicale, la réalisatrice, également scénariste et co-productrice, a voulu, pour son film, la délicatesse d’une aquarelle. La présence de l’eau, constante, la sensualité des vêtements de soie, la douceur de leurs tons pastels, l’évanescence des voilages, tout dit cette féminité vibrante et à fleur de peau, à laquelle doit s’initier la jeune May pour devenir femme. Récurrence des formes rondes, pierres d’ambre, bracelets, qui doivent guider la jeune épousée dans l’exploration de son propre corps et de son propre plaisir, qui portera à son comble celui de son mari. Plutôt que la thématique éculée de la rivalité, Ash Mayfair privilégie celle de la complicité féminine, volontiers initiatrice, jusqu’aux rives du saphisme. Une même douceur enveloppe les scènes nocturnes, éclairées de manière naturelle par la directrice de la photographie, Chananun Chotrungroj, dans les premiers mois d’une grossesse sur le tournage...


Après sept courts-métrages remarqués, Ash Mayfair signe ici une belle œuvre, éminemment picturale, dans laquelle l’initiation à la vie va de pair avec la découverte, plus amère, mais si douce et fascinante, de la mort.

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le 18 août 2020

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Anne Schneider

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