Etienne Chatiliez est un réalisateur qui très tôt, dés son premier film (en l'occurrence le film qui nous intéresse ici), s'est spécialisé dans le domaine de la comédie plus ou moins cruelle (Tatie Danielle) et subtile (Le bonheur est dans le prés). La vie est un long fleuve essaie de concilier les deux, en étudiant la lutte des classes à la fin des années 80 en France.

Juin 1987 à Lille, dans le nord de la France, deux familles vivent dans cette grande ville. D’un côté, vous avez les Le Quesnoy, une famille aisée. Le père (André Wilms) est le directeur d’EDF, la mère (Hélène Vincent) reste à la maison et les enfants sont bien élevés. D’autre part, vous avez les Groseille, une famille pauvre qui vit dans un petit appartement. Le père a participé à la guerre d’Algérie, la mère est apathique et les enfants sont des petits délinquants. Apparemment, ces deux familles n’ont rien en commun. Cependant, il y a douze ans, deux bébés ont été échangés par une infirmière (Catherine Hiegel) délaissée par son amant médecin (Daniel Gélin). Lorsque le petit Groseille (Benoît Magimel) rentre dans sa vraie famille les Le Quernoy, c'est là que choses se compliquent ...

C’est le premier film d’Etienne Chatiliez et il a connu beaucoup de succès à l'époque de sa sortie. La description des deux familles est satirique, mais ne tombe jamais (ou presque jamais) dans la caricature. Les membres de la famille Le Quesnoy ne montrent aucun signes de vanité, d’hypocrisie ou de sentiments de supériorité sur les Groseille. Si vous cherchez une grosse farce qui tâche, passez votre chemin.

Contrairement à ce que prétend le titre du film, La vie N’est PAS un long fleuve tranquille. N’importe qui peut changer le cours d'un destin, comme lorsque l'infirmière échange les deux bébés, puis lorsque plus tard (douze ans après) elle prévient les deux familles concernées. Pour elle, c’était juste un acte de vengeance envers son amant médecin, sans penser aux conséquences sur les autres. Etienne Chatiliez se moque des conventions tout au long du film qui se veut être une pure comédie. C'est impossible de résister devant la scène des jurons balancés par Daniel Gélin ("Oh la salope !").

Au premier abord, tous les personnages semblent être très stéréotypés, le commerçant arabe, la famille pauvre, la famille aisée, les policiers, le médecin, le prêtre ... tous sont plus ou moins ridiculisés devant la caméra d'Etienne Chatiliez. Prenons par exemple le prêtre (Patrick Bouchitey), il est utilisé pour critiquer l’église et la religion en général. En fait, le seul personnage en qui on croit vraiment, c'est le jeune Momo. Son caractère aux multiples facettes suscite tout de suite notre compassion. Son amour sincère pour sa mère biologique, son vol pour aider son autre famille, ses amitiés avec les enfants des deux familles et son enfantillage, produisent un curieux mélange.

La parentalité et l’éducation des enfants est un thème important dans ce film. Les enfants de la famille aisée (les Le Quesnoy) sont très polis, intelligents et religieux, tandis que les enfants de la famille pauvre (les Groseille) sont stupides, grossiers et méchants. J’ai remarqué que cette différence d’éducation n’était pas vraiment substantielle. Lorsque Momo Groseille rejoint sa vraie famille les Le Quesnoy, il emmène avec lui toute sa malice et les jeunes Le Quesnoy le suivent avec enthousiasme.

La scène finale résume assez bien l’idée que je me fais du film. Tant de problèmes surviennent lorsqu’une personne poursuit simplement son objectif, sans se soucier du reste ...

L’infirmière est là assise, satisfaite, victorieuse, avec son amant médecin complètement brisé. Et cela survient juste après avoir vu comment les Le Quesnoy se sont complètement effondrés. C'est typiquement du Etienne Chatiliez, un humour très cruel.

Les acteurs sont tous, pour la plupart, incroyables. Bien sûr, je retiens la performance des acteurs principaux, en premier lieu Hélène Vincent qui a remporté le César de la meilleure actrice en 1989. Son portrait de la mère Le Quenoy est fabuleux et certains de ses dialogues sont irrésistibles ("c’est lundi, c’est raviolis"). Benoit Magimel vole la vedette à tout le monde dans le rôle du jeune Momo. Il est d'un naturel désarmant, malin et plein d'énergie communicative. Et puis il y a Patrick Bouchitey dans son rôle d’ecclésiastique. La scène dans laquelle il chante "Jésus reviens ..." est absolument brillante et drôle. Daniel Gélin est parfait en médecin mélancolique et amant cruel.

La vie est un long fleuve tranquille fonctionne sur un humour très caustique et cruel. Certes c'était un parti-pris de la part d'Etienne Chatillez, pour accentuer la comédie. Il vient d'ailleurs du monde de la publicité, qui n'est pas l'art de la nuance, mais il est bien dans l'esprit de son époque et de son public. Taper sur les cathos et les prolos, c'est sans risque. Etienne Chatillez est quand même plus subtil que ça, car il n'y a aucune méchanceté gratuite. Les deux époux Le Quesnoy sont finalement de braves gens. Par la suite, Etienne Chatiliez a appris à donner un peu plus de corps et de complexité à ses personnages (Tatie Danielle et Le bonheur est dans le prés).

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le 12 janv. 2023

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