Avant de s'adonner à l'exercice sympathique qu'est critiquer ou donner mon avis sur ce film (le premier de 2014 que je vois au ciné youhou !), et pour changer un peu, voici 3 raisons de le voir (et j'espère de l'aimer) :

1) Shirley MacLaine
2) Les décors naturels
3) David Bowie's Space Oddity.

Si avec ça vous bavez pas comme un saint Bernard enragé...

Soit donc Ben Stiller aux commandes d'un luxueux remake d'un obscur tâcheron hollywoodien des années 30 et 40. Oui, je parle bien de Norman McLeod, c'est pas George Cukor le gars quoi. Le fait que ce film soit un remake n'est pas très important même si je suis assez curieux de voir ce que ça donne. En effet, l'oeuvre actuelle utilise tous les moyens à la disposition du cinéma aujourd'hui pour nous en mettre plein la vue, et par cela, j'entends bien l'anti-fond vert. J'ai même un peu envie de dire "Jackson 2013 0 - Stiller 2014 1", if you know what I mean.

L'ami Ben joue devant et réalise derrière et il est tout aussi convaincant des deux côtés. La facilité déconcertante et il faut le dire, le grand talent d'équilibriste avec lequel il surfe d'un registre à l'autre est proprement soufflante : comédie dramatique sociale vaguement dépressive, rom-com, film d'aventures, Bildungsroman film... Prenez tout cela, mélangez, savourez. On est au cœur d'un magazine, Life, qui existe vraiment dans la vraie vie et dont on voit les vraies couvertures tout au long du film, et on assiste à une ère de changements et de bouleversements : l'arrivée du tout numérique. Le magazine devient pixel, la photo menace d'être remisée. Vous voyez le parallèle ? Ode à la photo, ode au cinéma "35 mm" et moins surchargé de numérique, bref, ode à la vie, à l'image qui palpite, se détériore, se perd, mais qui quand elle existe est inégalable.

Une mélancolie profonde berce ainsi tout le récit, qui par moments pourrait être vraiment déprimant : une mère qui part en maison de retraite, un piano que l'on vend, un père qui est mort, un marin alcoolo qui chante un vieux succès new wave dans un bar miteux du Groenland... et surtout un loser monumental qui échappe à son morne quotidien par la grâce ambivalente (c'est à dire vectrice de dangers comme de ridicule) de rêves éveillés et de divagations en tous genres. L'anglais a pour cela un mot intraduisible en l'état, "daydream", qui n'est utilisé qu'une poignée de fois dans les dialogues du film. Jouant sur tous les niveaux, Stiller parvient à broder une triple quête (celle de la femme aimée, celle de la photo et du photographe, celle de son identité profonde i.e. de son bonheur) sur fond de crise sociale et sociétale (mine de rien le magazine Life ferme vraiment boutique pendant ce temps, dans le film) et de film d'aventure grandiose.

C'est l'aspect que j'avoue trouver le plus ébahissant. On commence doucement, avec un joli prologue en deux temps : le site de rencontre, le bug et la première divagation à la station de métro. Walter s'imagine des trucs, il a des absences, des bugs,et le film s'oriente dans un onirisme un peu délibérément factice mais rigolo à la Gondry, qu'on devine proche. On se dit pourquoi pas, tout en sachant que c’est balisé. Puis le récit est parsemé de petites étrangetés toutes Stilleriennes, des gags totalement absurdes et parfois tellement décalés qu'ils en deviennent vraiment hilarants. Mais quand l'aventure débarque, avec un grand A, le film ne se dégonfle pas et devient cet objet hybride et sidérant de beauté. Groenland, tout d'abord. Où l'on ne sait plus trop s'il divague ou si les choses arrivent. Et c'est un peu des deux. Magnifique séquence sur David Bowie, minutieusement préparée et amenée par une série de gags et de mesquineries, façon Blake Edwards, pour un moment de lyrisme juste magique et quasiment sans trucages. Le mec est vraiment allé tourner au Groenland, ça se voit et ça fait plaisir.

Islande ensuite, et son volcan au nom imprononçable. Même mélange de prises de vue réelles (imaginez Ben Stiller ou sa doublure, sur un skateboard, en Islande. Putain j'hallucine comme ce film me fait du bien aux yeux) et de numérique (l'éruption forcément). Puis Afghanistan et hauts plateaux de l'Himalaya. Le film m'a perdu d'ailleurs. Je veux dire, c'est évident que ça a été en partie tourné en haute montagne, mais jusqu'à quel point ? Notamment un plan à l'hélico avec un visuel (trafiqué ?) vertigineux alors qu'on tournoie autour de Stiller sur une crête... Proprement bluffant.

A tout cela, ajoutez une tonne de bon goût : dans le sujet et le scénario, dans la musique (Bowie, Arcade Fire, Junip, etc.), dans la photo, les décors, le paysage, la justesse de l'émotion à la fin du film... (j'ai versé ma petite larme). C'est même la probable limite de ce métrage et ce qui prêtera le flanc à ses détracteurs : c'est un peu trop beau, trop joli, trop mignon. Evidemment, il a voulu faire un film qui allie parfaitement grand public, grand spectacle et bon goût, mais ça me semble sincère personnellement. Y a un côté "classique instantané" pour la famille, un peu comme L'Odyssée de Pi ou Cloud Atlas, en moins kitsch et en beaucoup plus "naturel" (ce qui joue aussi dans le fait que j'ai adoré, je ne le cache pas). Je pense que certains pourront pousser jusqu'à dire que le film est un peu réac dans son discours, du moins réfractaire au progrès, mais de temps en temps, un petit rappel ou coup d'alarme comme celui-ci ne fait pas de mal, non ?

Le casting est également de haute volée : Shirley MacLaine donc, dans un second rôle émouvant, la très jolie Kristen Wiig en âme sœur difficile d'accès, et toute une galerie de seconds rôles pertinents (le méchant boss, Sean Penn en mode Into the Wild, jusqu'à Todd, le conseiller matrimonial qui mange des "cinnamon"). C'est drôle, c'est beau, ça fait du bien par où ça passe, bref j'en redemande. 2014 commence donc vraiment bien pour ma part. Même que j'ai trouvé Ben Stiller un peu sexy avec sa barbe à la fin, c'est dire.

Et une fois n'est pas coutume, une petite playlist d'humeur pour accompagner le film :

* Wallace Collection - Daydream http://www.youtube.com/watch?v=3EYia1X2j78 (pas dans le film)
* David Bowie - Space Oddity http://www.youtube.com/watch?v=xcyuKUtgyZ8 (dans le film et déjà une séquence culte)
* Sigur Ros - Svefn-g-englar http://www.youtube.com/watch?v=rtemrZ7-pj0 (pas dans le film mais merde il va en Islande quoi)
* Dirty Paws - Of Monsters and Men http://www.youtube.com/watch?v=MrWd0m7pmq8 Dans le film et islandais. (merci JFK)

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le 3 janv. 2014

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Krokodebil

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