Avec ses images d'Ushuaïa et sa coloration améliepoulinesque, la bande-annonce du nouveau Ben Stiller faisait un peu peur ; peur d'un de ces films bons à retourner l'univers de minets acnéïques, et basta. Qu'il est bon d'être un peu surpris, et agréablement, dans la vie !
Walter Mitty est l'archétype du film mémorable, en cela qu'il transcende in extremis toutes les catégories dans lesquelles ont l'aurait rangé par défaut, retrouvant son équilibre même lorsque son navire tangue le plus violemment.
Dans la catégorie "Monsieur Tout-le-monde s'épanouissant enfin dans une aventure hors du commun", son héros s'avère crédible de bout en bout (ne se mettant pas en un claquement de doigts à faire des choses laissant penser qu'aucun rat de laboratoire célibataire et transparent n'arriverait à accomplir telle ou telle prouesse) là où d'autres se seraient vautrés dans la caricature ; et dans la catégorie "Love-interest féminin qui se met tout à coup à s'intéresser au héros pourtant transparent", Kristen Wiig s'avère être un choix formidable, à la fois suffisamment commune pour justifier son accessibilité et suffisamment charmante pour que l'on croie à l'amour du héros.
Dans la catégorie "Récit de quête de soi basant une bonne partie de son intérêt sur sa fantaisie", le film se montre souvent original et inspiré esthétiquement sans tomber dans la pause, ni dans le formalisme creux et tape-à-l'oeil d'un Jeunet ou d'un Gondry ; et dans la catégorie proche "Récit de quête de soi basant une partie de son intérêt sur le sens de l'aventure", on suit généralement la frontière du cliché (escalader l'Himalaya, se confronter à des bêtes sauvages, sympathiser avec l'autochtone un peu fruste) sans jamais la dépasser, profitant de l'excitation temporaire de l'instant Kodak, et d'un tendre arrière-goût d'accomplissement personnel à travers une liste d'expériences qui ne sont pas forcément originales, mais que l'on s'approprie par nature - à ce sujet, il faut apprécier le cynisme de la critique des Inrocks, d'une tristesse et d'une crétinerie déprimantes. Le Benjamin Button de Fincher s'était cassé les dents sur la métaphysique polychrome améliepoulinesque susmentionnée (alors que Fincher, bordel) ; avec son plus humble Walter Mitty, Stiller évite cet écueil.
Enfin, bien qu'affichant une Kristen Wiig et d'identifiables seconds couteaux de la nouvelle scène comique américaine (Patton Oswald, Adam Scott...), le film fait preuve d'un humour un peu désuet qui le différencie du lot. En somme, tout se tient, faisant parfois preuve d'une imprévisibilité rare, boostant l'impact dramatique des scènes un peu plus convenues (notamment celles de bureau). Alors, on risque de passer pour un plouc, on dit qu'on adhère. Walter Mitty n'est pas un chef-d'oeuvre, mais une très jolie expérience (insister sur le très) à ranger dans les expériences cinématographiques mémorables.
Naturellement, tout agréable à l'oeil et joliment interprété qu'il fût, La Vie rêvée de Walter Mitty n'aurait pas un impact si durable sur les mémoires s'il s'était contenté d'éviter les clichés et de charmer son monde à l'économie ; Ben Stiller lui a offert quelques scènes magnifiquement inspirées. On citera cette séquence, sans aucun doute la plus brillante et poignante du film, où l'apparition de Kristen Wiig chante en karaoké le cultissime Major Tom de David Bowie pour donner du courage au héros, la voix de la rock-star finissant par s'unir à la sienne alors que Mitty prend son envol tant attendu (plans inspirés, caméra volante et montage aéré, filmage amoureux de Wiig, et tout l'esprit de la prestation de Stiller)... soit une des plus belles scènes musicales que le cinéma US nous ait offert ces dernières années, avec la scène du bal du Monde de Charlie.
(Pour le plaisir, on citera aussi la rencontre avec Sean Penn - dans un rôle sur mesure, scène qui prend son temps et apprécie les silences...)
Se mettre en scène dans un tel rôle frôlerait l'ego-trip si Stiller n'avait pas été si bon. En brillant tant dans un comique parfois burlesque que dans les scènes les plus dramatiques, l'acteur rappelle combien il ne mène pas une carrière à sa hauteur - les parodies débiles, les franchises pour gamins du type Une Nuit au Musée, Ma belle-famille et mes cousins germains au quatrième degré et moi, c'est bien, mais voilà quoi. Ben, merci de te mettre à jouer, maintenant.