La Zone d'intérêt (The Zone of Interest) est un drame américano-britannico-polonais réalisé par Jonathan Glazer. Il s'agit de l'adaptation du roman portant le même titre de Martin Amis. Le film a été présenté au Festival de Cannes 2023 mais est sorti sur les écrans en 2024.


Présentation


Le film commence par un long noir sur fond d’un bruit sourd continu qui pourrait être celui d’une locomotive mais qui est en fait celui des fours crématoires. Lui succède une scène idyllique où l’on assiste, sans transition, au déjeuner sur l’herbe au bord d’une rivière d’une famille "normale" composée d’un couple et de ses 5 enfants et d’un chien. Après s’être baignée, la famille retourne dans leur grande maison entourée d’un vaste jardin fleuri, de serres, d’un potager, d’une piscine et desservie par une floppée de serviteurs.


On comprend alors que ce "petit paradis" est la villa où vivent Hedwig (Sandra Hüller, vue dans Anatomie d'une chute) et Rudolf Höss (Christian Friedel) et leur famille. Hedwig règne sur ses roses et sur ses domestiques, avec plus d'empathue pour les premières que pour les secondes.


Pour ceux qui ne sauraient pas qui est Rudolf Höss, il fut un nazi convaincu et le commandant du camp d'Auschwitz-Birkenau et l'un des principaux concepteurs de la solution finale.


La maison est limitrophe du camp d’extermination dont elle n'est séparée que par un mur au-dessus duquel on voir dépasser les bâtiments et l'un des miradors du camp et, dans le lointain, les fumées des fours crématoires.


Mais, à part ce que j'en ai dit, on ne voit rien du camp ni de ce qui s’y passe sauf pour, en bruit de fond, les détonations de pistolets qui abattent les prisonniers, les aboiements des chiens et les cris des SS et de leurs victimes… sans que cela ne semble affecter en quoi que ce soit les habitants de la maison ni troubler les jeux des enfants.


Par quelques touches, l’horreur nous est quand même subtilement distillée : les vêtements de juifs qui sont distribués aux domestiques polonaises alors qu’Hedwig conserve pour elle le somptueux manteau de fourrure d’une déportée dans la doublure duquel elle trouve un diamant, le contraste de l’amour qu’elle porte à ses enfants et à ses fleurs et de ce qui se passe ai-delà du mur (presque symbolique qui entoure le jardin), le même amour que porte Höss à sa jument pendant qu’il programme la construction de nouveaux fours crématoires, la mère d'Hedwige qui, après avoir trouvé l'endroit "paradisiaque" s'en va sans dire rien à sa fille, etc.


Il y a aussi ces scènes en noir et blanc où on ne comprend pas ce que fait cette fillette maculée, pataugeant dans la boue, qui plante des pommes dans une butte de terre puis ramasse du charbon, la lecture du « gentil » Rudi qui, pour endormir ses gentilles têtes blondes leur lit un des extraits les plus effrayants du conte d’Hänsel et Gretel des frères Grimm...


Vers la fin, on voit Rudolf Höss, après une fête avec les élites du nazisme, descendre un escalier sans fin dans l'obscurité, et s'arrêter à chaque palier pour vomir. On sait qu'il sera pendu après le procès de Nuremberg.


Et pour conclure, le réalisateur nous offre une visite du musée d’Auschwitz où des femmes de ménage nettoient des salles où sont exposés les milliers de valises et de paires de chaussures des déportés morts dans le camp.


Le générique de fin se déroule sur une bande son particulièrement dissonante qui m’a forcé à quitter la salle avant que la lumière ne se rallume.



Mon opinion


Lorsque j’ai connu le synopsis de ce film, j’ai de suite pensé à un autre film, qui m’a beaucoup marqué Le garçon au pyjama rayé qui traite du même sujet : le directeur SS du camp de concentration qui habite à côté du camp avec sa famille « normale » mais dont la fin, terrible, est bouleversante. Je ne serais pas allé voir La Zone d’intérêt si une amie, qui l’avait vu, ne m’avait assuré qu’il n’y avait aucune scène insupportable, ce qui est vrai. Après les premières images idylliques qui se passent en été, sur fond de ciel bleu et de chants d’oiseaux, on n’est pas projetés dans l’horreur. Pourtant, celle-ci est bien là, en fond sonore et elle se révèle au fur et à mesure par de petits détails (le manteau de fourrure, le rouge à lèvres, les cendres dans la rivière…) Tout est suggéré, rien n’est montré. C’est très fort, ravageur même, et le spectateur sera longtemps hanté par cette bande son lancinante, à la limite du tolérable (sur le générique de fin) composée par Mica Levi. Un film que l'on n'oubliera pas de sitôt.

Roland Comte

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